Saison 1 :
L’un des bénéfices indiscutables de la multiplication des plateformes de streaming est le formidable accès qui nous est offert à des œuvres télévisuelles du monde entier : si certains se plaignent de la domination US en matière de cinéma et de séries TV, c’est maintenant un argument fallacieux. Il suffit de quelques clics, mais surtout de faire preuve de curiosité intellectuelle, et chacun peut découvrir des choses passionnantes en provenance du monde entier. Arte, fidèle à sa mission culturelle, est évidemment en pointe lorsqu’il s’agit de nous offrir de la bonne télévision d’ailleurs : c’est sur Arte TV qu’on peut découvrir, par exemple, une excellente série policière québécoise, Une affaire criminelle, dont la première saison est une franche réussite…
Cette première saison nous raconte la tragédie que vit Catherine Godin, une mère dont le fils est emprisonné depuis 15 ans pour un meurtre qu’il affirme ne pas avoir commis. Catherine se bat, seule contre tous, de plus en plus traitée par tout le monde comme si elle était folle, et, dans son obsession (démontrer l’innocence de son fils, le faire libérer), elle a peu à peu laissé toute sa vie à elle partir à vau l’eau. Elle ne peut compter que sur le soutien d’un ex-amant, Bing, lui-même policier essayant de l’aider dans sa recherche d’un coupable potentiel. Mais, bien sûr, rien n’est noir et blanc dans la vie, rien n’est aussi simple que Catherine veut le croire, ou l’espère. La petite ville de Saint-Bruno dissimule de bien sombres secrets, qui vont peu à peu être dévoilés, et il sera difficile pour Catherine de reconnaître ses amis de ses ennemis…
Un peu à la manière des meilleurs polars scandinaves, Une affaire criminelle va nous promener d’une hypothèse à l’autre au fil des huit épisodes de la saison, sans jamais nous perdre, tout en maximisant la crédibilité des situations, et même des nombreux coups de théâtre qui émaillent l’enquête menée 15 ans (et plus…) après les faits. La série bénéficie d’un scénario de Joanne Arseneau particulièrement solide, bien écrit, s’appuyant surtout sur des personnages totalement ancrés dans la réalité de la vie provinciale québécoise.
Car au delà de l’énigme captivante, du suspense bien mené (on ne note aucune faiblesse de rythme durant les 8 épisodes, ce qui vaut la peine d’être signalé !), de certaines scènes très tendues, c’est la richesse des personnages et la force des émotions qu’ils expriment qui nous poussent à regarder, et à aimer Une affaire criminelle. Et c’est, avant toute chose, l’interprétation remarquable, pas loin de l’exceptionnel, de Céline Bonnier – qui EST Catherine Godin ! – qui permet à cette série de sortir franchement du lot.
Chaudement recommandé !
[Critique écrite en 2024]
https://www.benzinemag.net/2024/05/16/arte-tv-une-affaire-criminelle-saison-1-tabarnak/
Saison 2 :
Le succès de la première saison de Une enquête criminelle appelait logiquement une suite, le défi étant de conserver les forces de la première (son ancrage dans la réalité québécoise, la forte crédibilité des personnages, le tout allié à la complexité de « l’énigme policière » à résoudre) en repartant de zéro, avec de nouveaux protagonistes et une nouvelle histoire. On voit très bien que Pascal L’Heureux, Stéphane Lapointe, Joanne Arseneau et leur équipe ont réfléchi à ce qu’ils allaient nous proposer pour poursuivre la trajectoire de la série, renouveler ses thèmes sans en trahir l’esprit.
Au centre de cette seconde saison, on a donc deux femmes policières, liées de manière assez indiscernable – ce qui est régulièrement questionné par leur hiérarchie aussi bien que par leurs proches -, que l’on ne pourra finalement que qualifier de « sororité ». La première, Laurence (Alice Moreault, convaincante mais restant dans le même registre de jeune femme rebelle et butée durant les 8 épisodes de la saison) est une jeune enquêtrice récemment promue dont le père, policier lui aussi, a disparu depuis quelques années : on le soupçonne de s’être suicidé, ce qu’elle ne croit pas… tout en ayant peur, du fait de troubles de mémoire, que ce soit elle-même qui l’ait tué au cours d’une violence altercation dont elle ne se souvient que par fragments. La seconde, Geneviève (Julie LeBreton, qui bénéficie d’un rôle plus riche, plus ambigu, et finalement plus crédible) est l’épouse de l’un des cadres supérieurs de la police, et cache à tout le monde que son mari la frappe régulièrement. Les secrets de ces deux femmes, mais également de leur entourage, vont être révélés le jour où Laurence tire en légitime défense sur un suspect potentiellement impliqué dans la disparition de son père, et le tue… entraînant une enquête interne qui va mettre la pression sur elle, déjà fragilisée par ses problèmes psychologiques.
Ce bref résumé montre qu’il s’agit là de reprendre pas mal d’éléments qui ont contribué à la réussite de la première saison : la jeune femme à la quelle personne ne fait vraiment confiance et qui se débat pour faire éclater la vérité, la politique interne des services de police, en particulier l’ingérence de la « police des polices » dans le fonctionnement d’une enquête, etc. La grosse différence de cette seconde saison, qui ne bénéficie malheureusement plus en son centre d’une actrice aussi impressionnante que Céline Bonnier, est de traiter plus ou moins frontalement (pas de spoiler, mais il y a une évolution notable de la situation au cours des 8 épisodes) la question sociétale des violences conjugales. Et de mettre en valeur, face à l’incompréhension masculine – voire à la solidarité des hommes devant les plaintes des femmes battues – la force de cette fameuse « sororité » dont on parle beaucoup en ce moment.
Les anti-wokes grimaceront sans doute quant on mentionne ces deux sujets, et surtout quand on y ajoute celui des violences policières, en particulier au cours des manifestations, qui semble positionner Une affaire criminelle à gauche de l’échiquier politique. Mais rien n’est aussi simple, ce qui est d’ailleurs l’une des grosses qualités de cette série, dont le déroulement nous réserve de jolies surprises… après un démarrage un peu lent, cette fois, c’est vrai.
Bref, sans atteindre à l’excellence de ses débuts, Une affaire criminelle reste une série très recommandable, et en tout cas bien plus « adulte » que nombre de productions Netflix ou autres. Ostie !
[Critique écrite en 2024]
https://www.benzinemag.net/2024/06/22/arte-tv-une-affaire-criminelle-saison-2-ostie/