Vinland Saga, c'est avant tout une histoire classique qui répond à l'un des archétypes scénaristiques les plus efficaces qui soient : un personnage qui subit ce que la vie peut réserver de plus cruel et immérité, et qui va par conséquent prendre sa revanche sur celle-ci. Cette vengeance prend du temps, évolue progressivement, et nous accroche immanquablement jusqu'à la fin par le lien empathique qui nous unit à ce protagoniste qui a souffert. On souffre avec lui, on veut donc naturellement se venger aussi. Sur ce point-là, cette série ne rate pas sa cible, mais n'en atteint pas pour autant le centre, et ce pour deux raisons...
La première est subjective, et concerne justement cette empathie. Je me suis en effet demandé pourquoi je n'avais pas ressenti plus de douleur que cela au moment où Thorfinn doit endurer la perte de son père, fabuleusement mise en scène au demeurant, et je pense avoir trouvé la réponse : durant les tout premiers épisodes, l'amour et la complicité qui peuvent lier un père et son fils ne sont quasiment pas mis en avant, ou tout du moins trop discrètement à mon goût. Nous avons un père (Thors) bienveillant mais mystérieux à souhait, tandis que le fils a l'esprit déjà clairement tourné vers l'océan, l'exploration, l'aventure, et porte en outre une grande curiosité à l'égard de l'histoire de son peuple. Et lorsque le drame survient, la réaction de Thorfinn manquerait, selon moi bien sûr, d'un soupçon de crédibilité ; on ne reste pas de marbre bien entendu, mais on pourrait s'attendre à réagir un peu plus intensément. En réalité, pour être empathique envers ce couple père/fils au moment fatidique, il faudrait déjà l'être avant. Et pour mieux illustrer la chose, je dirais que ce qui fonctionne dans un film comme Le Roi Lion gagnerait à fonctionner un peu mieux ici. C'est précisément pour cette raison que je n'ai pas réussi à mettre 10... Cependant, le comportement de Thorfinn est bien plus plausible à partir du moment où il perd une grande part de son innocence dans les épisodes qui suivent, alors qu'il n'a que 6 ou 7 ans, et la compréhension qui en découle n'en est que plus limpide : pensées, actes, paroles, émotions, intonations, attitude et surtout regard... tout est authentique, explicable, d'un contraste détonnant avec le visage insouciant d'avant-deuil, et ça fait mal ! Le père est mort, mais on a d'une certaine façon aussi perdu le fils en cours de route...
La seconde raison est objective, et concerne le scénario lui-même, qui se retrouve assez rapidement bousculé dans son classicisme. Ainsi, il ne s'agit pas seulement d'une histoire de vengeance : beaucoup d'autres évènements se produisent et de nombreux autres personnages gagnent en dimension et en importance, dans l'intérêt d'une histoire bien plus riche et vaste qu'elle n'y paraît initialement. De ce fait, notre ami et compagnon de route en quête de revanche se retrouve relégué plus d'une fois au second plan, principalement au profit de son ennemi juré Askeladd, un personnage complexe et d'une profondeur hallucinante, mais aussi du prince Knut, du général Thorkell et de quelques autres... Et l'on se prendrait de temps à autre à ne plus vraiment porter d'intérêt aux desseins de Thorfinn, son désir de vengeance semblant parfois insignifiant, et même parasitant, comparé aux enjeux historiques, religieux et surtout géopolitiques. En outre, est-il nécessaire de préciser que nos amis nippons nous offrent une fois de plus une oeuvre évitant les pièges du manichéisme de bas étage ?
Vinland Saga, c'est aussi une esthétique, avec des décors et paysages somptueux et un charadesign harmonieux et épuré. Les scènes de combats, orchestrées avec habileté et d'une violence crue, cohabitent pourtant parfaitement avec des moments plus tendres, plus intimes, plus émouvants ou plus contemplatifs, procurant ainsi un visionnage fluide et vraiment plaisant. Cet esthétisme est également appuyé par une bande originale maîtrisée de bout en bout. Celle-ci allie avec brio beauté et sobriété, un véritable enchantement, pianistiquement surtout... Quant au premier ending, interprété par Aimer et sa voix si atypique, autant vous dire qu'il est d'ores et déjà dans ma playlist !
Enfin, Vinland Saga, c'est une oeuvre qui fait réfléchir, beaucoup réfléchir même... Sens de la vie, de la mort, de la paix, de la guerre, des croyances (religieuses ou non), mais aussi de ce qui est bon ou mauvais, ou de ce qui peut passer pour bon ou mauvais... Bref, nous n'allons évidemment pas débattre de tout cela ici, mais sachez juste que cette série a l'intelligence et la délicatesse de nous exposer les choses en toute neutralité, nous laissant ainsi le luxe de nous faire notre propre idée sur ces questions. Durant mon visionnage, je me suis d'ailleurs plus d'une fois avoué la réflexion si convenue selon laquelle la vie était décidément compliquée...
Une dernière chose : ce n'est QUE la première saison... Une saison déjà riche et passionnante qui réserve de grands trésors pour la suivante, j'en suis certain. En tout cas, je pense que mon impatience à l'idée de voir la suite est totalement justifiée !