A la faveur de longs mois de torpeur et de questionnement sur le devenir du monde actuel (à moins que le coronavirus ne soit l'oeuvre d'une conspiration aliéno-gouvernementale, LOL), je me suis replongé corps et âme dans les affaires non classées, cette indépassable saga télévisuelle américano-canadienne. Une série née au début des années 1990 et achevée (certains diront bâclée) assez récemment, après quelques années de sommeil, par une 11e saison qui laisse un goût amer aux suiveurs de la première heure, dont je fais partie.
Jusqu'à mi-chemin, en tout cas, j'y ai retrouvé mon enthousiasme initial, celui d'un pré-ado qui découvrait sur son petit écran l'univers fascinant du paranormal, à travers les regards croisés de deux enquêteurs du FBI, l'intrépide Mulder et la perspicace Scully. Passons assez rapidement sur la pseudo romance entre nos deux protagonistes qui, à force de se fréquenter et de se confronter à l'horreur, ont tissé un lien quasi mystique, qu'aucune ficelle racoleuse ne saurait restituer. Ces deux-là sont humains, après tout, mais face à un tel destin, la vérité est forcément ailleurs...
Revenons donc sur les deux axes narratifs qui subliment la série et en ont fait, à juste titre, un repère culturel incontournable dans l'imaginaire populaire : l'exploration des phénomènes surnaturels et le complot institutionnel visant à cacher l'existence d'une vie extraterrestre. Si l'un et l'autre se rejoignent à plusieurs moments-clés de l'intrigue, ils peuvent aussi être considérés (ou plutôt disséqués, comme on dit à Quantico) distinctement.
Concernant le premier axe, les activités paranormales, c'est un grand coup de chapeau qu'il faut tirer au concepteur Chris Carter (bien secondé sur la durée par Rob Bowman et d'autres gardiens du temple), non seulement pour avoir débusqué tant de monstres protéiformes (sur plus de 200 épisodes de 42 mn tout de même), mais surtout pour avoir su les ancrer dans un cadre crédible, réaliste. Nichées au coeur des grandes villes ou au fin fond de la cambrousse, ces bêtes de foire donnent l'impression de faire partie du paysage, d'une réalité ordinaire qui fait froid dans le dos. A plus forte (dé)raison à travers les ambiances musicales, elles aussi géniales, de l'enchanteur Mark Snow. Un tel foisonnement artistique force l'admiration des plus sceptiques, et confère aux aventures de Mulder et Scully (sans oublier leurs alliés, pas si nombreux) un charme puissant et addictif, quasiment jusqu'au bout. Si rien n'est éternel en ce bas monde, il est réconfortant de penser que leur travail minutieux et avisé constituera, longtemps encore, un rempart nécessaire contre le Mal absolu dans nos esprits tourmentés. Et tant pis si ce n'est "que" de la fiction. I want to believe !
Pour ce qui est du second axe, la machination en haut lieu, comment dire... cela nécessite une analyse prudente, avec le recul qui s'impose. Une lecture du XXIe siècle, imprégnée de théories farfelues en tous genres et du spectacle informationnel permanent (via les médias en continu et les réseaux sociaux, qui contribuent à rendre hautement anxiogène une époque qui l'est naturellement), peut faire paraître ridicule cette conspiration fomentée entre les élites humaines (politiques, scientifiques et militaires) et une civilisation extraterrestre. Saine réaction, me direz-vous. Mais, si ce genre d'élucubrations ne date pas d'hier, le sujet est ici traité avec une dose suffisante de subtilité (je trouve) pour rendre la tromperie plausible, dans une oeuvre de fiction qui joue justement sur nos croyances profondes, qu'elles soient justifiées ou non. En la matière, le "On nous cache tout, on ne nous dit rien" du citoyen lamba issu d'une quelconque démocratie (pas besoin d'aller aux USA pour ça) est un passage obligé pour tout projet ambitieux. En l'occurrence, ce thème casse-gueule est abordé avec talent par Carter and co, qui osent revisiter l'histoire de l'humanité, essentiellement à partir de la fin des années 1940, afin de construire une mythologie moderne assez complète autour des petits hommes verts. Là aussi, on a envie d'y croire. Croire que l'OVNI échoué à Roswell est le signal d'une collaboration inter-espèces pour repeupler la planète, qu'une organisation secrète appelée le Syndicat met en oeuvre ce plan diabolique, que l'homme à la cigarette façonne les événements à sa guise et en toute impunité, ou encore que des races hybrides se baladent déjà parmi nous, incognito... Bref, un immense jeu de (fausses) pistes où le seul mot d'ordre est de ne se fier à personne. Si, au bout du compte, on n'est pas devenu complètement parano, on ne peut qu'applaudir devant tant d'artifices déployés, qui maintiennent le téléspectateur assidu en haleine d'un bout à l'autre de la série. Sans vouloir spoiler (ni même s'poiler), c'est avec une certaine frustration qu'on voit apparaître à l'écran le générique final de l'ultime épisode. Ben oui quoi, on va tous mourir ou bien ?
Tant pis pour la sortie en beauté, car la force d'évocation demeure intacte, et permet sans nul doute de classer le dossier X-Files au rayon des oeuvres majeures de la science-fiction. Celle-ci aura bercé, à grande échelle, des générations de rêveurs, de scientifiques en herbe, et aussi de conspirationnistes. Elle aura marqué (à la manière de Twin Peaks, autre pépite fantastique signée David Lynch) le début de l'âge d'or des séries d'ampleur cinématographique, tant sur la forme que sur le fond.
Elle aura eu, surtout, le mérite de nous conduire avec intelligence jusqu'aux frontières du réel, conformément à sa promesse initiale, en incarnant dans notre inconscient collectif, tel un catalogue effroyable, la somme de toutes nos peurs. Une force mystérieuse qui, quand vient la nuit, nous fait frémir à l'ouïe d'un bruit suspect sous le lit de notre chambre à coucher ou à la vue d'une lueur inhabituelle dans le ciel, à travers la fenêtre. Tandis qu'au loin, tapies dans l'ombre d'une forêt de Virginie-Occidentale ou dans l'opacité d'un bureau à Washington, d'autres menaces potentielles nous empêchent de dormir. Agent Mulder, Agent Scully, au rapport !

Libaber
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le 31 déc. 2020

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