YannToutCourt
YannToutCourt

Émission Web YouTube (2018)

C'est le député LFI Antoine Léaument qui a ouvert le bal, il y a deux mois, lors du mois de décembre 2024, en revenant sur ses affirmations au sujet des origines du drapeau tricolore. Plus récemment, c'est le président de groupe LR / Droite républicaine de l'Assemblée nationale, Laurent Wauquiez, qui lui a emboité le pas en cette fin de mois de janvier, au sujet de ses références romaines hasardeuses.

La chose est tellement peu commune de la part de gens comme eux, que le Huffington Post s'est carrément permis d'y consacrer un article sur le sujet. Car oui, à moins de deux mois d'écart donc, deux hommes politiques de premier plan se sont fendus d'un erratum, reconnaissant tous deux avoir tordu, plus ou moins sciemment, certains faits historiques au service de leur discours.


Oui, vous avez bien lu. Deux politiciens ont reconnu avoir abusé des faits. Ils se sont pliés face à cette science sociale qu'on ne se prive pourtant pas, d'habitude, de rudoyer et de renvoyer au sein statut de chronique subjective.

Mais que s'est-il passé ? Sommes-nous en train de sortir de cette période sombre et tourmentée de post-vérité pour retrouver enfin un âge de raison ? Pas vraiment. Ou du moins, si on a pu assister à ces deux rares moments de raison sur la scène politique, ça n'a pas été à l'initiative des deux députés sus-cités. Non, à l'origine de ces deux erratum, on retrouve en fait un seul et même homme. Un youtubeur. L'homme derrière cette chaîne YannToutCourt.

Yann Bouvier.


Mais ce Yann Bouvier, c'est qui ? Sur le net, il émerge d'abord via Tiktok, en 2019, en y postant de multiples formats courts visant à vulgariser l'Histoire. Jusqu'ici rien d'extraordinaire. Sauf que le bonhomme va gagner en audience, puis étendre sa sphère d'action sur YouTube sitôt le format short va y faire son apparition.

Entre-temps, sa formule se rode, se recentrant sur le debunk. Le développement de son activité sur la plateforme d'Alphabet est aussi l'occasion pour lui d'adopter des formats parfois légèrement plus longs (rarement plus de cinq minutes) pour clarifier certains points d'actualité au regard de l'histoire. Sa première expérience du genre remonte au 1er mars 2022 et c'était pour expliquer (en seulement trois minutes) les raisons de l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Depuis, 56 vidéos et 106 shorts plus tard sont sortis. Certaines de ses productions ont tapé le million de vues, quelques-unes atteignent carrément la barre des 4 voire des 7 millions. Aujourd'hui, ils ne sont que 280 000 à être abonnés à sa chaîne, mais sa croissance est constante. Et quand on sait qu'il a dépassé les 800 000 sur TikTok, on se dit qu'il lui reste encore de la marge.


Mais alors comment expliquer que ce soit ce YannToutCourt – et non un mastodonte tel Nota Bene, avec ses 2,5 millions d'abonnés – qui ait réussi à faire plier nos deux politiciens ?

Eh bah peut-être déjà parce que Yann Bouvier, lui, il est historien. C'est tout con, mais quand c'est un professionnel qui rentre dans l'arène, tu sens tout de suite la différence. Bouvier sait ce que c'est de faire de l'histoire. Il connaît les protocoles à suivre pour ne pas sortir du cadre scientifique, alors autant dire que lorsqu'il se lance dans une démarche argumentative, il ne vient pas avec deux ou trois arguments séduisants et quelques punchlines bien senties. Non, Yann Bouvier il sort l'armada. Il te sort toutes les sources à disposition. Il explore chaque piste d'interprétation. Il colmate toutes les brèches. Il a pensé le truc. Il ne laisse aucune chance à l'adversaire.


Le format aide beaucoup aussi. Le debunk, c'est par définition une démarche offensive. Ça s'attaque directement à des personnes qui ont produit une ou des contre-vérités historiques. En conséquence, ça favorise la mécanique de duel et donc de viralité de la vidéo. Surtout qu'en plus d'être fournie, l'attaque de YannToutCourt est toujours ciblée. On ne s'attaque pas à tout un discours mais juste à une affirmation ; une idée ; un fait. Ça permet d'éviter de partir dans une longue démonstration de plusieurs heures, ce qui favorise la logique de frappe chirurgicale. C'est dévastateur, ça se mange sans fin et ça se partage avec des copains.

Et puis, l'air de rien, en sachant choisir ses sujets de debunk sur des points suscitant l'intérêt d'un public très large (récemment la réalité du caractère « romain » du salut d'Elon Musk au lendemain de l'investiture de Donald Trump.), YannToutCourt parvient à associer à ce goût du sang un goût pour l'acculturation.

Et c'est là que, je l'avoue, je trouve le bonhomme très fort.


Parce que, je ne vais pas vous mentir, mais sur le papier, YannToutCourt, c'est tout ce que je devrais détester : du temps court, du point de détails, du divertissement par le sang... Car, il se trouve que moi aussi je suis un professionnel de l'histoire. Je ne suis certes pas historien comme Yann Bouvier, mais je l'enseigne. Et généralement, pour les gens comme moi qui baignent dans les sciences sociales, on a plutôt tendance à préférer le temps long, les démonstrations solides parce qu'interminables, les climats dépassionnés afin de favoriser l'émergence de la raison. C'est ce qui explique d'ailleurs sûrement pourquoi j'entretiens toujours une certaine méfiance à l'égard de celles et de ceux qui entendent privilégier le format de la pastille historique ou de l'anecdote. Je me dis que, ceux-là, s'ils ont décidé un jour d'investir le terrain de la vulgarisation sur Internet, c'est bien plus pour prendre la lumière plutôt que pour rendre l'histoire accessible. Et quand je constate qu'avant de servir de plateforme d'accueil à ses debunks, la chaîne de Yann Bouvier a été initialement ouverte pour héberger la vidéo de son passage, en tant que candidat, dans l'émission de Nagui, je me dis qu'à la base, chez le jeune historien, il devait y avoir un petit peu de cet esprit-là.

Mais bon, comme j'ai déjà souvent eu l'occasion de le dire, les gros égos ne me dérangent pas si derrière on sait être à la mesure de ces derniers, or force m'est de constater que c'est bien le cas au sujet du Docteur Bouvier.


Parce qu'il faut bien se l'avouer, à force de tâtonner, Yann Bouvier a su trouver là une formule qui parvient à la fois à concilier les besoins de l'influenceur en quête d'audience et les exigences du scientifique en quête de transmission. Car à bien y regarder, au-delà du format consommable et distrayant de ses shorts, il y a bien quelque chose que l'historien parvient à faire rentrer dans l'esprit de ses spectateurs à force de martèlement. Et ce quelque chose n'a rien d'anodin puisqu'il s'agit, ni plus ni moins, de ce qui est au cœur de toute la démarche d'un historien : j'entends parler ici de la méthode scientifique.


Difficile de ne pas voir un protocole se dégager à force d'enchaîner les debunks. Le format est suffisant dense pour que la démarche puisse apparaître à tous de la manière la plus limpide qui soit.

Par exemple quand Yann Bouvier revient sur ce fameux salut fasciste opéré par Elon Musk, il commence sa vidéo en posant tout de suite un cadre : « Moi ce qui m'intéresse, ce sont les lignes de défense qui font référence à l'histoire. » Première référence : Musk aurait fait un salut de Bellamy. Qu'est-ce que le salut de Bellamy ? Ça remonte à quand ? Ça ressemble à quoi ? Yann Bouvier plie ça en 50 secondes. Tout y est : définition, sources, description, comparaison, interprétation et surtout conclusion : non, le salut de Musk n'était pas un salut de Bellamy. Deuxième référence : le salut romain. Rebelote pour Yann Bouvier : biblio sourcée, questionnement des sources qui pourraient contredire la version établie, déduction puis conclusion : le geste de Musk n'est pas un salut romain. Néanmoins, le vidéaste n'occulte pas pour autant le fait que cette représentation du salut romain – bras tendu, paume vers le bas, doigts serrés – est très répandue. Alors d'où vient-elle ? On remonte le temps, on expose les sources d'époque et on suit la construction de cette représentation, en partant d'un tableau de David, puis en passant par des représentations théâtrales et enfin cinématographiques, pour arriver en bout de course à un cinéaste-dictateur, puis à Mussolini.

De là, conclusion finale : Yann Bouvier questionne le contexte, le cadre, l'époque dans lequel s'insère le geste de Musk. Or, tout conduit à une seule et unique déduction : l'intention de Musk compte peu au regard du cadre et du contexte dans lesquels il s'inscrit. La référence au fascisme ne peut être qu'automatique. De là, Yann Bouvier constate ceci : « au regard de la charge symbolique de ce geste [...] la moindre des choses qu'on serait en droit d'attendre d'Elon Musk, ce sont des excuses. Or, au moment où j'enregistre cette vidéo, elles n'ont pas eu lieu. »

Moins de cinq minutes. Clair, net, précis.


Et la méthode sera la même quand il s'agira de questionner les affirmations de Michel Onfray sur le réchauffement climatique, ou celles d'Eric Zemmour sur le fait que le fascisme soit né à gauche, ou celles d'Antoine Léaument sur le fait que Robespierre ait été l'auteur de l'abolition de l'esclavage... D'abord on cadre, ensuite on pose les sources, on décrit, on analyse, puis on déduit.

Chaque épisode supplémentaire clarifie encore davantage le mode de fonctionnement de cette méthode ainsi que ses indéniables forces et cela sans nuire à la fluidité, la brièveté et l'efficacité de la démonstration.

C'est que le bonhomme sait vraiment bien tirer parti de son format. Alors certes l'image est souvent dégueulasse, mal cadrée et les sujets mal détourés, mais s'y retrouvent systématiquement le texte, la peinture, la référence qu'il faut pour celui qui a envie de faire pause, lire et vérifier.

Yann Bouvier montre comment on construit le cadre d'une bonne réfutation. Clarifier les termes, exposer les éléments sur lesquels reposent les affirmations produites, considérer toutes les hypothèses et contre-argumentations possibles. On ne cherche pas à enfumer en usant de termes ambivalents, on ne sort pas des affirmations de son chapeau sur un ton qui laisserait suggérer qu'on n'a pas à s'expliquer parce que tout le monde le sait ou devrait le savoir... Non, on est transparent sur toutes les étapes du raisonnement afin de l'ouvrir, si nécessaire, à la réfutation. Bref, jusqu'au bout on ne s'en tient qu'à une seule et unique méthode : la méthode scientifique.

Et – ô mystère – quand c'est un scientifique qui est aux manettes, le résultat est souvent imparable, du moins pour celles et ceux qui apportent une réelle considération à une approche rationnelle du réel, comme Antoine Léaument manifestement, et comme Laurent Wauquiez.


Parce qu'il sera bien évidemment toujours tentant pour les semeurs de brume, d'invalider les démonstrations de l'historien en s'attaquant à la personne et en l'accusant d'être partisan. Et de cette accusation, Yann Bouvier n'est pas dupe, c'est d'ailleurs pourquoi, juste avant de débunker une contre-vérité d'Eric Zemmour, il rappelle très bien ceci :

Je sais ce que vous vous dites : il va encore parler de politique. Donc disclaimer d'intro : si ça tord l'histoire, si ça fait du bruit et si j'ai le temps, j'interviens. Si c'est un chanteur qui le fait, ça ne veut pas dire que je m'apprête à faire un album. Si c'est un politique qui le fait, est-ce que ça veut dire que je fais de la politique ? Bah oui – forcément ! – un petit peu, au sens où j'investis le champ politique, mais pas au sens où d'être partisan. Quoique si, je prends un parti, c'est celui du nécessaire respect des faits historiques. Aimer l'histoire, c'est [aussi] aimer ses méthodes et ses démarches.

Pour le coup, je trouve qu'en verbalisant les choses ainsi, Yann Bouvier résume très bien ce qui ressort de sa chaîne quand je la regarde.

Et elle n'est effectivement pas anodine cette question du choix des sujets – pour ne pas dire des cibles – parce que c'est sur cette question-là que, pour ma part porterait l'une de mes rares réserves au sujet de ce format.

Alors bien sûr, YannToutCourt taille tout autant des shorts à Zemmour qu'à Mélenchon ; à Amixem comme à Maître Gims. C'est un constat qui valide indéniablement son récit mais qui, à mes yeux, ne tient pas simplement du fait que les idées reçues et autres contre-vérités soient également réparties au sein du monde des idées. Je pense que Yann Bouvier reste particulièrement vigilant pour maintenir consciemment cet équilibre au sein de sa production, et je pense notamment qu'il le fait afin d'entretenir cette posture de l'historien au-dessus de la mêlée. En cela donc, j'avoue que j'aurais tendance à considérer que notre cher historien arrange un peu la réalité quand il réduit sa démarche aux seules préoccupations suivantes : 1) le propos débunké doit concerner l'histoire ; 2) le propos débunké doit faire du bruit ; 3) le propos debunké doit tomber à un moment où le bon Yann dispose du temps nécessaire pour en parler.

Mais ce ne serait pas vraiment sur ce point précis que porterait ma réserve dans la mesure où je comprends parfaitement l'intérêt et la logique de ce positionnement (surtout que, pour qui a un brin de culture politique, il ne sera pas compliqué de positionner le bon docteur Bouvier). Non, ma réserve porterait plutôt sur le champ et personnes qui (pour le moment) ont été épargnés par ses rhabillages bermudesques alors qu'ils sont pourtant des producteurs réguliers de contre-vérités. Et j'avoue y avoir particulièrement pensé lorsque je suis tombé – en remontant en amont dans la chaîne de YannToutCourt – sur un short dans lequel Yann Bouvier apparaît en compagnie... de Stéphane Bern et de Lorànt Deutsch. L'extrait est issu de l'émission de France 2 Laissez-vous guider et, manifestement, le bon Yann a eu le droit à un petit moment d'exposition au sein de cette émission de grande écoute.

Alors celles et ceux qui me connaissent un peu savent tout le mal que je pense de Stéphane Bern et de Lorànt Deutsch ; deux individus qui sont, à mes yeux, de véritables usines à roman national, mais je peux encore entendre que notre cher docteur expert en debunk fraye à leurs côtés. Après tout, pour espérer conduire un bateau jusqu'à bon port, encore faut-il d'abord prendre la peine de monter à bord. J'entends... Mais bon... Bern et Deutsch, ils en produisent des choses sur l'histoire, qui font du bruit et qui sont clairement discutables, alors dans ce cas pourquoi Yann Bouvier n'a jamais trouvé le temps (du moins à ma connaissance) d'aller un peu taquiner ces deux semeurs de fumée ?

Alors après c'est vrai qu'entre-temps, une vidéo a été produite à l'encontre de Franck Ferrand. Donc peut-être n'est-ce qu'une question de temps...


De manière plus générale, le temps nous dira beaucoup de choses sur la place que cette chaîne sera amenée à occuper à l'avenir dans l'univers de la vulgarisation historique. Le climat politique et social se polarisant, les éléments propres à cette époque que d'aucuns se plaisent à qualifier (à tort ou à raison) de post-vérité, vont se multiplier. Les jeux d'équilibriste vont devenir de plus en plus compliqués à tenir et les stratégies d'évitement – si elles existent et/ou si elles persistent – seront alors à percevoir comme des positionnements en soi.

Est-ce que, à l'avenir, Yann Bouvier prendra le risque de s'opposer à un autre vulgarisateur de renom – voire à un autre historien – pour alimenter son amour de l'histoire en tant que méthode et en tant que démarche ? Osera-t-il se heurter à des Stéphane Courtois, Reynald Secher ou autre Jean-Christian Petitfils qui abusent de leur statut d'historien pour tordre les faits au service de leurs convictions politiques ? Ce serait franchement souhaitable parce qu'aujourd'hui, elles sont peu les personnalités compétentes dans leur domaine à se risquer à ce genre de nécessaire clarification (et ça peut se comprendre tant elles n'ont rien à y gagner).

Seulement voilà, à force de gagner en notoriété via Internet, Yann Bouvier fait partie de ces figures qui pourraient enfin se risquer à, si ce n'est renverser, au moins questionner la mainmise des ultra-conservateurs sur la vulgarisation de l'histoire au sein du service public, voire au sein des médias grand public en général. Donc, sur cet aspect-là, j'avoue attendre de voir comment l'émission YannToutCourt sera amenée à évoluer.


Mais dans tous les cas, apprécions déjà ce que Yann Bouvier nous apporte au jour présent. Voir des politiciens accepter de se plier face à l'autorité des faits, en cette ère de post-vérité, c'est déjà plus que satisfaisant. Et vu que le climat politique est amené à devenir de plus en plus chaud, les shorts du bon docteur Bouvier, tant qu'ils seront bien taillés, n'apparaitront jamais comme de trop. ;-)

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il y a 5 jours

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