Alizée, éternelle poupée de son
Un nouvel album d’Alizée, c’est comme une boîte de chocolats : on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Après avoir été lolita lubrique pour Mylène Farmer, la chanteuse corse a butiné, multipliant les collaborations et enfilant les costumes que de prestigieux compositeurs taillaient pour elle : Juliette émancipée en pleine crise adolescente pour Jean Fauque et Daniel Darc (Psychédélices), héroïne warholienne et suicidaire pour feu le label Institubes (magnifique Une enfant du siècle), elle est aujourd’hui descendante auto-proclamée de France Gall pour son nouvel album, 5, sorti fin mars. Côté ventes, le verdict est sans appel et confirme la rupture entre la chanteuse et un public qu’elle a perdu à force de revirements musicaux. Cependant, comme souvent avec la demoiselle, les influences et signatures méritent amplement qu’on y jette une oreille.
S’il faut reconnaître un talent à Alizée, c’est bien celui de savoir s’entourer. A défaut d’avoir une voix, elle a une exigence, qui est celle de présenter des projets cohérents aux univers très marqués. Le cru 2013 est bien dans l’air du temps et surfe sur la vague rétro–yéyé à qui l’on doit Granville et le prochain album de reprises de Jenifer. Ambiance. Cependant, les sonorités et paroles fortement mélancoliques du premier single, « A cause de l’automne », ont tôt fait de nous rassurer quant au ton de l’album : si l’ombre de France Gall plane sur cet album, c’est moins celle de la blondasse hystérique et attardée de « Sacré Charlemagne », que celle de l’héroïne triste de « Laisse tomber les filles » et « Baby Pop ». Cette France avait Gainsbourg ; Alizée a Thomas Boulard, chanteur et guitariste du groupe Luke, qui signe plus de la moitié des textes de l’album. Susurrés plus que chantés, ses paroles sont emprunts d’une mélancolie forte, pas toujours maîtrisée ou bien exprimée, mais terriblement inhabituelle sur l’album d’une jeune chanteuse de cet ordre. Si l’on se passerait volontiers de « Dans mon sac » et regrette la paresse de sa plume sur « Jeune fille » (à la mélodie pourtant séduisante), on découvre avec bonheur sa prose sur « Mon chevalier » et « 10 ans », très clairement biographique et inspirée du divorce récent de l’interprète. Séparation et usure de l’amour sont donc au menu. Pour ceux qui –à juste titre- aiment l’époque yéyé pour ses titres entraînants et joyeusement bêtes, il faudra se tourner vers les excellents « Le Dernier souffle » et « Boxing Club », véritable bombe de kermesse signée Adrien Gallo (décidément incontournable et très en forme depuis un an).
Cet album, soigné et mélodieux, présente néanmoins un problème de taille : son interprète, qui partage avec Gall un phrasé et une voix à la limite du supportable. Parfois chaude dans ses graves et émouvantes dans ses faiblesses, cette voix est de celles qui peuvent détruire une chanson à force d’être trop poussées, trop nasales, trop karaoké. Mais France Gall serait-elle aussi culte sans cette diction de petite écolière bien sage ? Sans doute pas. Aussi va-t-on vous laisser libre de juger si, oui ou non, cet album aurait gagné à être interprété par une autre.
En bref, cet album n’est pas celui qui vous rendra fan d’Alizée (pour cela, on vous le répète : Une enfant du siècle !), mais pour peu que vous aimiez la variété douce et nostalgique, la pop sixties et chaleureuse, il vous fera passer un bien joli moment.