A ce jour, on peut dire que ★ avait au moins deux phases successives.
Il y a d'abord la phase énigmatique de vendredi 8, samedi 9 et dimanche 10 janvier 2016. C'est la période à laquelle on découvre l'album, après sa sortie vendredi matin. 41:19 au compteur et un million de raisons d'être interpellé et de s'interroger : dès les premières écoutes, on sait qu'on est en train d'entendre quelque chose de bon, mais c'est d'une telle densité qu'il est difficile de s'y sentir tout à fait à l'aise. L'album est sombre, brumeux, électrique et fulgurant, mais aussi empreint d'une intense nostalgie. Impossible de rester insensible au disque, qui remue et intrigue : les bizarreries électroniques du morceau titre lui donnent des allures sensuelles, la caisse claire survoltée de 'Tis a Pity She Was a Whore inspire l'envie de se secouer furieusement dans tous les sens, la splendeur froide de Lazarus est immédiatement contrebalancée par la moiteur torride de Sue (Or in a Season of Crime), le minimaliste Girl Loves Me vient jouer les trouble-fêtes d'une superbe façon au milieu d'un album musicalement chargé, et l'enchaînement final Dollar Days/I Can't Give Everything Away renvoie tour à tour des impressions de mélancolie, de nostalgie et de sérénité, concluant ★ en évoquant des souvenirs du passé, citant subtilement Low ou 1. Outside. Mais quel sens donner à cet album archi-dense, presque opaque ? Un album qui s'écoute pourtant si vite, dont on ne passe aucun morceau ? Et quelle direction David Bowie peut-il prendre après un album aussi compact, un album qui n'a même pas de titre en toutes lettres, sans photo de couverture, un album qui s'appelle juste ★ ?
Pour tous ceux qui ont vécu la première phase, la deuxième phase débute le lundi 11 janvier 2016 à 7h30. "David Bowie died peacefully surrounded by his family after a courageous 18 month battle with cancer", un communiqué qui vaut pour un coup de poing dans le ventre. Immédiatement, instantanément, avant même de prendre vraiment le temps d'évaluer ce qu'il vient de se dérouler, ★ prend du sens - énormément de sens. Une dimension intensément douloureuse et triste, mais une cohérence inégalée, sans précédent, submergeante. C'était ça, le secret de ★ ; c'était prévu ; c'était calculé de cette façon. L'album dépasse à ce moment totalement l'exercice de style réussi ou l'étrangeté merveilleuse de la phase 1 : ★ c'est un testament, les derniers mois de son auteur, son adieu au monde et l'héritage qu'il nous laisse. Et la phase 2 explose à compter de cet instant la phase 1 en terme d'intensité émotionnelle, liant tous les morceaux, faisant de ★ un album épuré de toute scorie et d'une sincérité déchirante, rendant palpables les états d'âmes exacerbés dont l'album est rempli jusqu'à la démesure. ★ s'envole au-delà de l'album de musique, c'est la mort intime de son auteur convertie en œuvre d'art.
Difficile d'écouter quoi que ce soit d'autre jusqu'à ce que l'orage soit passé.