Saxophoniste surdoué de la scène montréalaise, Colin Stetson se fit connaître par sa trilogie New History Warfare, quand ce ne fut pas par ses collaborations qu'il multiplie (encore) tous azimuts (on peut citer celle avec Mats Gustafsson, des accréditations sur des travaux de Tom Waits, Esmerine, Bon Iver ou même Feist). C'est sans doute lors des sessions d'enregistrement et des concerts avec Arcade Fire qu'il fit la connaissance de Sarah Neufeld, violoniste du groupe. Certains la connaissent aussi pour son premier album solo Hero Brother, publié en 2013 chez Constellation, qui m'avait particulièrement déçu. Never Were The Way She Was est leur première collaboration, sortie en avril. Si tu as vécu en autarcie ces 5 derniers mois, cette chronique t'est donc directement adressée.
Never Were The Way She Was s'inspire de l'histoire d'une jeune fille qui vieillit au rythme des montagnes. Étrangement, il me donne l'impression d'une fuite, d'un exil entrepris pour survivre, pour échapper à cette condition. Peut-être est-ce dû à ce rythme, qui amorce régulièrement des courses effrénées et n'est ponctué que de courts répits. Des fulgurances virtuoses et salvatrices comme autant de tentatives pour se défaire de ces chaînes millénaires et déjouer le temps (l'échappée endiablée de The Sun Roars Into View). L'album laisse en ce sens peu de temps pour souffler, lâchant ses décharges d'adrénaline avant que toute résignation ne s'installe.
Cette empressement récurrent est mis en avant par la technique de souffle continu de Stetson, imposant le flux cardiaque de ses saxophones et de sa clarinette basse jusqu'à la rupture. Déployant leurs timbres volumineux et organiques, ils emplissent l’espace et contrastent franchement avec celui du violon de Neufeld, frêle à leurs côtés. Une densité d’une ampleur affolante dans The Rest of Us, où l’on semble à même de pouvoir palper la matière sonore du saxophone. Malgré cela, les cordes se frayent un chemin, tel un ballet d'aiguilles insaisissables se faufilant dans un canevas fuyant, profitant des brèches causées par le saxophone pour s'y engouffrer (In the Vespers).
Le même rapport de force s'opère également entre les voix qui résonnent sur Never Were The Way She Was. Celle de Neufeld, s'apparentant à de douces lamentations, au regard des hurlements bestiaux et indomptables que lancent fréquemment les cuivres. Un aspect animal qui culmine dans l'anxiogène With the Dark Hug of Time, où les plaintes de l’instrument de Stetson rugissent, déchirent la nuit, et acculent le violon sous une rythmique écrasante.
Never Were The Way She Was est un album qui, à aucun moment, ne s’essouffle. Il insuffle la vie à cette fille insensible aux cicatrices du temps, tout autant euphorisée par sa condition qu’elle en est prisonnière. Et il fait déjà figure d’indispensable dans la discographie des deux artistes. Une tournée européenne a d’ailleurs récemment été annoncée pour mi-octobre, donc si tu habites Limoges, Nancy, Arras, Paris ou leurs environs, c’est à ne pas manquer.
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