Avec leur premier disque éponyme sorti en 2010, les new yorkais de Beach Fossils étaient déjà parvenus à mettre en place une musique immédiate, sorte de dream pop minimaliste et aérienne, parvenant à générer nombre de tubes en puissance tout en restant éminemment personnelle. Leur second LP Clash the Truth, sorti trois ans après, se révélait aussi accessible et minimaliste tout en se parant d'un sentiment d'urgence typiquement post-punk. Le sentiment d'urgence : c'est précisément ce dont la formation de Brooklyn s'est défait pour ce Somersault.
De l'aveu même du leader Dustin Payseur, c'est la première fois que le groupe a pris autant de temps pour écrire ses chansons, peaufiner ses arrangements, retravailler ses compositions et ses textes. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que ce temps a été profitable, car Beach Fossils n'est jamais arrivé à un tel niveau, frôlant à de nombreuses reprises l'état de grâce. Le groupe n'hésite pas à enrichir ses sonorités, convoquant cordes, cuivres, bois, piano ... utilisant - et c'est à ce genre de chose que l'on prend conscience de la profonde intelligence d'un artiste - chaque instrument avec une grande parcimonie (tout le contraire de la lourde potacherie que Foxygen a sortie cette année et qui, si on en perçoit les intentions, finit par écoeurer). Dès l'ouverture de l'album, l'anthologique "This Year", l'utilisation sobre et élégante des violons enchante plutôt qu'elle n'alourdit l'ensemble. Les compositions gagnent également en ambition, sans pour autant paraître pompeuses ou boursouflées. Là où dans les précédents albums les chansons étaient essentiellement constituées d'un seul flux, les morceaux de Somersault n'hésitent pas à faire cohabiter en leur sein plusieurs mouvements, alors mêmes qu'ils n'excèdent que rarement les trois minutes ; le résultat n'a pourtant jamais été aussi équilibré et harmonieux, comme l'illustre parfaitement un titre tel que l'excellent "Saint Ivy" - où une session de flûte traversière vient étonnamment aérer une chanson assez grise, où Payseur porte un regard désabusé sur l'état de son pays. Cette façon d'écrire n'est d'ailleurs pas sans rappeler les grandes heures dans la pop des sixties - le clavecin de "Closer Everywhere" évoquant aussi bien les Zombies que les Beatles.
Bref, au sommet de son art, Beach Fossils fait ce qu'il veut et cela marche à chaque fois (voir la césure rap au milieu de l'album, qui s'y fond parfaitement). Il en résulte un disque varié mais dont tous les morceaux sont habités par la même limpidité, la même évidence. Quand l'humilité s'associe à l'exigence.