Nude
Il est toujours compliqué d’appréhender une création de Radiohead. C’est une bête sauvage, agile et féroce, qui se dompte avec patience. Parfois elle trébuche, est acculée dans ses retranchements,...
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le 12 mai 2016
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Suite aux multiples apartés Yorkien tantôt inpirés (Atoms for Peace), tantôt bâclés (Tomorrow's Modern Boxes), Radiohead nous livre enfin un truc officiel. Fini donc les enregistrements dégueulasses de tracks inédites.
Mais... Pour la première fois je me surprends à ne pas être surpris par les couleurs de ce nouvel album. C'est tout ce qu'on connait de Radiohead et de leurs lubies pour les arrangements électro-acoustiques vaguement expérimentaux, à ceci près qu'ils ne représentent aujourd'hui plus grand chose d'avant-gardiste.
Au bout d'un moment, je pense qu'on a tous compris le coup des reverses de voix, des multiples réverbes et delays empilés les uns sur les autres, des ambiguïtés tonales, et enfin le délire des rythmes brisés, volontairement boitant... Et malheureusement quand ces effets sont remis sur la table, c'est souvent en cache misère.
Le problème n'est même pas que cet album manque de sonorités neuves, d'audaces acoustiques particulières. Ce n'est pas une nécessité, même si elle demeure officieusement celle de la grosse machine qu'est devenue la marque Radiohead.
Le soucis - et ça me fait mal de dire ça - c'est le manque de sincérité, le calcul politico-hipster noyant une bonne partie de l'album dans un pur jeu de posture.
Les arrangements brouilleurs et autres jeux harmoniques ne semblent être là que pour légitimer, recouvrir d'une aura magique factice des morceaux étonnement médiocres ou trop efficaces dans leur simplicité pour être tolérés par le directeur marketing de la multinationale Radiohead Entertainment.
Nombre de fois je me suis pris à imaginer en studio Jonny Greenwood et Thom Yorke (le reste de la bande sont stagiaires à ce stade) se prendre la tête pour masquer l'évidence de certaines compositions, à saboter certaines dans le soucis d'être suffisamment hermétiques pour être à l'abris du jugement.
SESSION D'ENREGISTREMENT STUDIO
Colin : Bon les gars ça serait bien qu'on foute enfin Identikit dans un album ! Les gens l'adorent et Ed O'Brien servait enfin quelque chose ! Je veux dire il chantait ! Après des années de mime sur scène, c'est une putain de promotion.
Yorke : Ah... Identikit.... Ouai j'sais pas. Pas mal...mais il y a encore un truc qui me gêne.
Greenwood : Oui moi aussi...
Yorke : Cette putain d'envolée... Pff, n'importe quoi. Qu'est-ce qui nous a pris...
Greenwood : Bien trop épique.
Yorke : Ouai, bien trop lumineuse et aérienne.
(fronce les sourcils, le regard perdu sur la moquette du studio)
Rahh fait chier, on peut pas faire ça. C'est trop...trop...
Greenwood : ...trop bas peuple.
Yorke : Clairement..
Le reste du groupe regarde silencieusement avec les yeux du chat de Shrek les deux snobs en mal de reconnaissance tournant en rond au centre de la pièce.
Yorke : Nan mais vous inquiétez pas j'ai une idée, ça va pas se passer comme ça. Colin passe moi le synthé de ton fils.
Colin : Mais c'est un jouet...
Yorke : Pas de mais, ça ira très bien. Toi Ed, tu ne chanteras pas, faut pas déconner. Je vais concocter un truc plus simple à la place de cette envolée somptueuse, puis on foutra ma voix chelou filtrée derrière. Je vois déjà les grimaces des blogueurs journalistes qui vont se sentir stupides avant de se sentir obligés de nous ovationner publiquement.
Nigel Godrich : D'accord mais... Tu veux pas que je travaille et mixe ce passage de façon à garder le côté aérien ? Avec une bonne rever...
Yorke : OH LÀ ! Tu te prends bien trop la tête. Fais moi confiance, je peux gérer le mix tout seul. J'ai... J'ai une vision. Je sens les choses.
Greenwood : Bon et bien voilà un truc de fait. Pendant ce temps je vais aller bidouiller ton petit machin, t'sais ton petit brouillon de poème que tu m'as envoyé sur l'iphone.
Yorke : "Daydreaming".
Greenwood : Hmmmmmm...Bon titre. C'est flou, j'aime bien, ça excuse bien le morceau.
En fait, ta petite compo est tellement anodine que je vais pouvoir m'éclater pour donner une âme à ça. Je vais pouvoir montrer au monde entier comment je gère toujours MaxMSP et t'inquiètes j'oublierai pas d'ajouter quelques reverses vocaux inutiles pour rassurer le chalant et de resservir des nappes de violons torturés pour que les gens se souviennent que c'est quand même moi la B.O. de There will be blood.
Phil Selway : Et moi ? Je fais quoi sur ce morceau ?... Y a rien, pas de rythmique à faire. Ni de voix additionnelle.
Greenwood : Bah pendant ce temps t'as qu'à bosser les percus de Burn the Witch par exem.. Ah merde j'ai oublié. Thom les a déjà faite sur son appli iphone en venant au studio.
Phil Selway : Bon une fois ça passe, 12 fois ça passe encore, mais pas 14 fois ! C'est vraiment pas très sympa de tout décider dans mon dos, ça commence à VRAIMENT m'irriter.
Bon je peux quand même les réenregistrer au propre hein ?! On va pas laisser ce son dégueulasse de boite à rythme has been étouffé dans le mix hein ?
Yorke : Mon p'tit Philou, tu compliques tout. C'est très bien comme ça, en plus ça crée un contraste entre les violons ultra chiadés de Greenwood et ce son vulgaire. T'sais, ça fait genre on est au dessus des questions d'harmonie sonore, on est des mecs bruts, qui prennent des risques, qui brisent les règles, anti-système, #NuitDebout toussa toussa...
Greenwood : Il a complètement raison. Si on bosse le mix de la batterie, même électronique, on risque de baisser de 2 points la note que nous donnera Pitchfork. C'est pas sérieux.
Phil Selway : Mais...Mais c'est pas une raison ! Dans le passé on a fait plein d'expérimentations mais ça sonnait toujours bien et apportait vraiment quelque chose aux morceaux, m'enfin !
Yorke : Tiens en parlant d'apporter quelque chose, pour moi ce sera 2 sucres et bien serré. Allez à toute !
Bref, le résultat est que ce récurrent déballage de futilés entrave la possibilité aux émotions de naître et prendre de l'ampleur.
J'ai eu l'impression d'entendre un groupe ne s'assumant qu'à moitié, manageant tant bien que mal une immense réputation. Un groupe aussi plus que jamais tiraillé, pour le meilleur et pour le pire, par les égos et états d'âme de Yorke et Greenwood.
Un coup on fait de la pure bossa nova parce que c'est le seul moyen de jouer tous ensemble en suivant à la lettre la compo originale de Thom Yorke, la fois d'après on vire tout le monde pour que Yorke puisse geindre à loisir son spleen mou de quadra hipster pendant que Greenwood fait une démo technique autour d'une composition originellement médiocre.
S'il y a bien trop d'éclats au sein de cet album pour y voir un pur échec, je n'arrive pas à me retirer de l'esprit au fil des écoutes successives, qu'il y a dans A Moon Shaped Pool, à l'image de sa pochette, une mélasse de fioritures dissimulant la vacuité de la moitié de son contenu.
Créée
le 9 mai 2016
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