Abbey Road, c'est la fin du plus grand groupe de musique de l'histoire de la musique moderne.
Abbey Road, c'est le bout d'un court mais dense chemin, parcouru sur 10 ans, qui aura laissé sa trace dans l'Histoire avec un grand H.
Abbey Road, c'est sans doute l'album des Beatles sur lequel les compositions sont les plus solides. Il faut dire qu'en 10 ans, ils ont eu le temps d'apprendre à écrire des grandes chansons, les bougres.
Commençons par le "pire".
Ringo, ce bon vieux Ringo, écrit Octopus's Garden avec l'aide de ses copains, pour un résultat peut-être en-dessous du reste, mais qui reste diablement bon. Et puis il joue le seul solo batterie de sa carrière avec les Beatles sur The End, et montre par la même occasion qu'il en a sous le coude.
George accouche de deux de ses plus belles chansons et, après avoir introduit le sitar et la musique indienne dans les influences des Beatles, il pose ici son synthé Moog, apportant des sonorités aériennes caractéristiques à Abbey Road, et donnant une ambiance éthérée à des morceaux comme Here Comes The Sun, Because ou encore I Want You (She's So Heavy). Lui qui disait après avoir quitté les Beatles qu'il s'était senti comme constipé pendant un moment vers la fin du groupe, il s'est quand même arrangé pour faire sortir deux bijoux au bon moment.
John lâche, hors du medley, trois chansons qui resteront toutes parmi les plus grandes qu'il ait écrites et parmi les meilleures des Beatles. Entre un Come Together écrasant et intemporel, un Because éthéré sur lequel les harmonies des Fab Four n'auront jamais été aussi magiques, et un I Want You (She's So Heavy) mastodontesque, tout en tension et complètement hypnotique, les compositions de John résument à elles seules l'ambiance de l'album. C'est planant, c'est puissant, c'est sidéral. Et il n'est pas en reste sur le medley non plus, en écrivant Sun King et Mean Mr. Mustard, qui sont franchement bonnes et dans le ton du reste. Polythene Pam, par contre, ne m'a jamais vraiment plu ; mais bon, il fallait bien une transition avec She Came in Through The Bathroom Window.
Et puis il y a la part de Paul. Même s'il n'est pas tout à fait au niveau de son compère de toujours sur la face A avec un Maxwell's Silver Hammer sympathique mais peu surprenant et un Oh! Darling sauvage, il se rattrape avec le fameux medley de la face B, qu'il ouvre avec You Never Give Me Your Money où il évoque les problèmes juridiques et financiers d'Apple Corps, et qu'il ferme avec une suite de morceaux chargée d'émotion : She Came in Through The Bathroom Window, Golden Slumbers, Carry That Weight et surtout, surtout, The End, la toute dernière chanson des Beatles. C'est lui qui a tout commencé avec Love Me Do, il fallait bien que ce soit lui qui termine.
Et finalement, Abbey Road, c'est peut-être l'album le plus abouti des Beatles. A la fois en tant qu'album, et en tant qu'il rassemble les chansons les mieux écrites des Beatles. Plus sobres dans leur enrobage que sur Sgt Pepper's ou Revolver peut-être, mais sans doute celles qui donnent le plus l'impression d'écouter une musique maîtrisée de bout en bout. De l'Art avec un grand A, jusque sur la pochette. Les quatre magiciens du son, les quatre gourous des sixties, avec leurs longues barbes, quittant définitivement leur sanctuaire en traversant la rue, c'était la meilleure pochette possible pour un album comme celui-là.
A l'arrivée, Abbey Road dégage une ambiance pesante et légère à la fois. En un mot, stratosphérique. Mais sur la fin, une ambiance aussi très solennelle, qui montre que les Beatles savent sans le dire que cet album sera le dernier. L'orchestration sur le medley, les harmonies sur Because, la puissance de I Want You (She's So Heavy), les solos qui s'enchaînent sur The End... Tout y est pour une fin cosmique, une fin en beauté, une fin avec le plus de classe qu'il est possible de rassembler dans un album de musique pop. Et puis, c'est vrai que ça en jette de finir sa carrière sur une chanson qui s'appelle "The End", non ?
Et finalement, au regard du chemin parcouru, c'est intéressant de comparer la toute première chanson et la toute dernière chanson des Beatles. Toutes les deux sont écrites par McCartney, toutes les deux parlent d'amour. Mais lorsque sur Love Me Do, Paul chante l'amour adolescent, l'amour innocent, il chante 7 ans plus tard sur The End l'amour universel, l'amour inconditionnel.
Marrant, pour des types qui se voulaient plus populaires que Jésus, de répandre la même parole, non ? En tout cas, ce qui est sûr, c'est que cette légende-là, on en parlera encore pendant longtemps. Et dans 50 ans, dans 100 ans, dans 1000 ans peut-être, là, on verra qui est véritablement le plus populaire.
Et moi, je vous le dis, Jésus n'a qu'à bien se tenir.