Survivre

Les années 1990. Beaucoup de grands de ce monde ne pourront pas tenir tête à ce changement de décennie. Parmi eux, même les Beatles, éternelles idoles de U2, se sépareront. L'évolution des styles et des goûts demande une adaptation draconienne.

Aujourd'hui nous savons que Bono, The Edge, Adam Clayton et Larry Mullen Jr. survivront royalement à cette décennie, ainsi qu'à la suivante. Notons cependant qu'ils proposeront de 1991 à 2009 seulement 6 albums, contre le même chiffre de 1980 à 1988. Non pas que la régularité soit nécessaire, mais quand on se lance dans une rétrospective comme celle ci, il est assez triste de constater qu'arriver à leurs 8 ans de carrière sur 37, mon travail est déjà à moitié achevé. Mais trêve de nouvelles moroses...

D'entrée de jeu, l'album tente de marquer la frontière musicale qui vient d'être franchie. "Zoo Station" veut un renouveau instrumental, jusque dans les effets de la voix. C'est le début d'une distorsion lourde et brouillée pour The Edge, qui sera utilisée à maintes reprise sur l'album, et dans le futur. On reste sur une écoute purement U2 avec un delay toujours fidèle et une batterie artisanale rappelant les premières heures. Avec voix en mégaphone, on trouve un ensemble assez symbolique, comme un message qui se rapprocherait du : << Vous voyez on se débrouille. >> Maigrement convaincu pour ma part, le titre à le mérite de prouver les capacités d'adaptations du groupe, et son écriture inspirera l'album suivant.

A l'oreille, "Even Better Than The Real Thing" sonne comme quelque chose de mieux construit. Celui ci permet de rester attentif car, si le premier titre ne fait pas l'unanime, il faut tenter de rassurer l'auditeur. Le forcer à rester pour écouter la suite. Une idée puissante, intelligente. Le titre critiquera les débuts de la surconsommation d'informations et de publicités à travers un rythme justement répétitif et une instrumentale bien entendu sans se fouler. C'est là que ça devient drôle. Le morceau ne peut exister qu'au sein de cette continuité, il a besoin de cet avant et de l'après dont nous allons parler. Le single est court, uniforme, avec une créativité minimaliste. Exactement comme une publicité, on cherche à maintenir une attention. Tel un trio parfait, le premier titre de Achtung Baby expérimente, le second rassure, le troisième récompense...

U2 nous a déjà conté bien des histoires, des drames, des rêves, des utopies. Du cri de guerre à aux pures larmes, de la note la plus douce à la batterie la plus énervée, beaucoup de choses ont été dites depuis 11 ans maintenant. Un imaginaire collectif et structuré à été mis en place avec soin. Seulement, on atteint pas la terre promise de "Where The Street Have No Names" sans un chemin précis à suivre, une méthode. Pour cause, dès que la carrière du groupe décolle, Bono dit qu'il ne veut pas de musiques hippies prônant l'amour et la paix au nom du << vivons ensemble >>. Il veut essayer de proposer une solution réaliste.

1991 - Berlin : Durant l'écriture de Achtung Baby, le groupe vit très certainement sa pire passade. En effet, Larry Mullen, Adam Clayton et les producteurs restes très pessimistes en ce qui concerne les premiers enregistrements. L'aspect électronique & dance encouragé par Bono et The Edge scinde le groupe en deux. De plus, le chanteur ne peut pas réellement s'appuyer sur son binôme, puisque celui ci est dans une situation conjugale difficile. Bono est déchiré par la situation. Là où parmi ses ambitions il y a le fait de montrer l'exemple, chaque jour le groupe s'effondre. Un jour, pendant les essais de Mysterious Ways, chacun décide d'y aller à son goût, à son envie, afin de peut être s'amuser une dernière fois ensemble. Le chanteur, inspiré par cet événement à huit clos, reviendra moins d'une heure plus tard avec un texte.

"One", si peu riche en parti pris, permet de s'apposer sur toutes sortes de sujets et situations. A l'origine, il s'agit d'une réconciliation : << Is it getting better ? >> / << Did I disappoint you ? >> / << Did I ask too much ? >>. D'autres y ont vu une épaule en situation de maladie grave : << Will it make it easier on you, now you got someone (something) to blame ? >> Pourquoi pas une conversation avec le Christ ou Dieu lui même ? : << Have you come here for forgiveness, have you come to raise the dead ? >> L'une des plus belles reste celle d'un jeune garçon expliquant à son père, un homme de religion bien affirmée, son homosexualité. On pourrait continuer cette liste avec des rappels aux guerres et événements socio-politique, ce qu'il y a de sur, c'est que telle une vision de l'infinie, "One" parle à tout le monde. Axl Rose confiera qu'il fondit en larmes à sa première écoute, Johnny Cash (ainsi que bien d'autres) reprendront le titre plusieurs fois. L'instrumentale elle même raconte l'histoire vécue par les quatre membres dans les studios. The Edge démarre seul. Bono, interpellé, décide de lui demander où en ai sa situation. N'ayant que des notes murmurées pour réponse, il tente de le réconforter, de lui donner une raison. Si l'on prend la situation d'un couple ou d'un groupe, la chanson va crescendo vers le désespoir, la pitié, le supplice, plus le temps passe et plus les arguments manquent. Au delà de toutes interprétations, le texte parle de rassemblement, d'unité dans les différences. En cela, on peut considérer que toute l'histoire de nôtre espèce se base sur ce principe. L'humanité forme des couples amoureux, des groupes de musiques, des nations, des territoires, qui, une fois unis, se feront souffrir mutuellement : << Well, we hurt each other, then we do it again. >>. Bono nous explique qu'en dépits des différences, nous devons nous soutenir les uns les autres si nous voulons survivre. U2 à survécu à une crise. "One" a sauvé U2."

Mai 2004 - Bono et d'autres collaborateurs créent ONE, une organisation non gouvernementale de campagne et de plaidoyer, qui lutte contre l’extrême pauvreté et les maladies évitables en Afrique.

Après "One", le groupe tient toujours à être crédible dans la vague "groupe alternatif", d'où la présence de "The Fly" et "Mysterious Ways" qui maintiennent les positions déjà établies au début de l'album. L'ensemble reste malheureusement mitigé, malgré "Who's Gonna Ride Your Wild Horses" chanson intime de Bono à The Edge concernant son divorce, ainsi que "Mysterious Ways", qui elle mérite probablement une critique individuelle, on est sur une note plutôt noire. Le pessimisme occupe pratiquement tout l'album, tant dans ses textes que dans sa production.

Donc après "One" et "Mysterious Ways" que reste t'il pour sauver les meubles ?

Et bien la chanson en question regorgeait tellement d'idées et d'inspirations qu'elle fut séparée en deux parties, l'une donnera "The Fly", et l'autre donnera la sublime "Ultraviolet"...

... ou "Light My Way" pour les intimes. Enfin ! U2 donne des couleurs à son album. Durant une introduction digne d'un Joshua Tree, Bono nie un événement, une réalité, une situation, mais quoi ? Tout ce que l'on sait c'est que cela concerne l'amour. Il faut attendre que le morceau démarre pour en savoir d'avantage. Et voilà que l'arc en ciel débarque avec un Edge tout en rythme, sautillant, muni d'accords qui réchauffent. Autant le titre met tout le monde d'accord sur le point émotionnel et réjouissant, autant son interprétation fait encore débat à ce jour. Je vais donc m'y essayer ici même :
- Le thème principal ici est l'ignorance, voir même l'étroitesse d'esprit.
- Durant une performance live à laquelle j'ai pu assister au Stade de France, le titre axait son chemin sur les femmes de nôtre histoire et plus largement le féminisme.
- Hypothèse donc, << Light my way. >> traduit le désespoir d'une personne qui refuse d'admettre une réalité qui viendrait ébranler son horizon. Le féminisme donc, mais pourquoi pas l’homosexualité : << You bury your treasure where it can't be found. >>
- Partant de cette idée, j'aime aussi voir le morceau comme l'histoire d'un(e) père/mère beaucoup trop nostalgique et réac, qui serait gêné par les activités de son enfant, et notamment donc un rapport avec ses fréquentations amoureuses : << And love, it won't be long. >>

Entre "Ultraviolet", "Mysterious Ways" et la production de l'album, Achtung Baby suinte le vécue et le secret. Avec "One" et la partie finale de "Ultraviolet", U2 poursuit sa quête de propagation d'hymnes spirituels. Le groupe est belle est bien en vie, et le passage de la frontière fut rude. Mais il ne fait que pénétrer le territoire des années 1990, quand est il pour la suite du voyage ?