Moi, je me le rappelle comme ça :
C'est le jour de Noël, mon frère a offert ce disque à ma mère, j'ai joué avec la pochette, c'est très beau mais peu pratique. On est dans la voiture, j'ai toujours aimé la voiture, avec les disques qu'on se passe, qu'on sort des pochettes, qu'on manipule, les parents et nous, tout ce temps qu'on y a passé. Il y a ça, ça me plaît plutôt, un peu déconcertant, et mon frère dit qu'il aime les bruits cabossés de leurs percussions, c'est vrai qu'on dirait du faux, du cling, du clang.
Printemps, je descends vers la mer, pour aller lire du Gary sur la plage et boire du thé sur la corniche, le chemin est long mais j'ai envie de marcher, et surtout j'ai mon bon casque et ce disque dans les oreilles, je le fous en boucle, on se sent chez soi, tout le corps écoute.
Irlande, Dublin, on ne sait pas où manger, alors on traîne dans les rues principales du Temple Bar, on a faim, vraiment faim. On se moque un peu du nom de ce restaurant, et puis il y a des travaux, ça ne donne pas envie, mais il n'y a pas grand chose d'autre. On rentre, milieu de l'Intro, alors on s'assied. La salle est tranquille, quatre ou cinq autres personnes, tout l'espace pour nous, la serveuse est jolie, la nourriture est bonne, et ce disque passe. Le temps d'un tour, et on repart avec l'Intro.
Un bon disque, c'est aussi celui qui se vieillit avec nous, celui qui se laisse écouter qu'importe la température, l'odeur ou l'âge, celui qui arrive cependant à chaque fois à nous remettre dans le même état de grâce, recentré, in the ripe and ruin.