Comme si ce n'était pas assez dur d'arriver avec des prétentions après plus de 60 ans de musique basée sur le trio rock guitare/basse/batterie, internet et les plateformes de streaming ont fait que même les jeunes – votre cœur de cible historique – peuvent facilement connaître les groupes méconnus qui ont marqué le rock "alternatif". Le premier album de Black Country New Road – principalement anguleux et dissonant – avait beau exhiber des passages instrumentaux remarquables et enchaîner les bonnes pistes, il était dur de faire abstraction du sentiment d'écouter du Slint ou du Shellac emballé dans un joli paquet british et branché, avec des paroles parfois douteuses, et qu'une partie du septuor (dont le vocaliste) brillerait davantage dans une musique plus délicate comme sur Track X.

Sans faire un virage à 180°, Ants From Up There est quelque part un aveu et présente un style plus riche mélodiquement et harmoniquement, que le groupe avait déjà en partie adopté avant la sortie tardive de leur premier album il y a un an. Il était presque naturel, surtout vu que le groupe voulait gagner en popularité, que leur musique converge vers celles des formations maximalistes et baroques de la scène montréalaise du début des années 2000. Quelques éléments ça et là rappellent les groupes de Spencer Krug et Efrim Menuck, ou Arcade Fire (et par extension Bowie). Une comparaison qui risque de les suivre un moment, comme pour Slint auparavant. Même si d'un point de vue purement musical, je ne sais pas si elle s'applique au-delà de Concorde (l'ascension), Good Will Hunting, et quelques éléments génériques comme les violons et les choeurs (la fin de Basketball Shoes est un peu celle de The Well and The Lighthouse sous stéroïdes).

La différence majeure est que les groupes de rock indé avec cordes et cuivres de l'époque savaient qu'ils étaient la chose la plus hip du moment et pouvaient flirter avec l'arrogance. Par comparaison, ce second album de BCNR est plus appliqué et intimiste, presque scolaire, et résolument de sa génération. Bien qu'on retrouve un côté théâtral et des moments de ferveur, la production est nette, la composition plus subtile et éclectique (ces guitares façon midwest emo ; l'influence de la chamber pop anglaise, ou celle du minimalisme notamment dans l'intro et Haldern...). Les chansons visent toutes l'intensité mais font preuve de retenue. Et surtout les paroles du chanteur (ex-chanteur ?) Isaac Wood sont souvent ouvertement anxieuses, névrosées et pleines de références.

On a là l’œuvre d'un jeune groupe qui, sans être vraiment connu, doit déjà évoluer en sachant que sa musique et ses paroles seront extensivement critiquées, décortiquées sur internet, et qui parvient néanmoins à assembler rapidement un album viscéral et singulier où tout est attachant et rien n'est à jeter. Il parle d'une romance perdue d'avance (la métaphore du concorde), maintenue à bout de bras, puis rangée dans un album et exposée sur le plus grand des murs. Je suis peut-être moins conquis par les morceaux énergiques que beaucoup, mais de mon point de vue Concorde avec son final maintenu dans les airs par le saxo, la basse, le piano et les cordes, Haldern, Snow Globes et Basketball Shoes sont parmi les chansons rock les plus élégantes et poignantes des dix dernières années.

Zephir
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le 14 mars 2023

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Zephir

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