On avait quitté le septette de Black Country, New Road sur un excellent premier album l'année dernière, manifeste post-punk texturé et émouvant qui laissait la part belle au saxophone de Lewis Evans, omniprésent, et aux textes attachants d'Isaac Wood, déclinant son mal-être à fleur de peau, non sans une ironie typiquement british.
Depuis, l'actualité de BC,NR a été chargée, avec ce deuxième album composé et enregistré en très peu de temps, et surtout le départ inattendu d'Isaac Wood, quelques jours avant la sortie d'Ants From Up There, apparemment pour préserver sa santé mentale. Cette triste nouvelle confère ainsi à AFAT une valeur de chant de cygne pour cette première mouture du groupe, immortalisée dans ces dix pistes qui n'auront donc pas droit à des versions live – ce qui est regrettable.
Impossible dès lors de ne pas percevoir dans ce nouvel album, partout, l'ombre d'Isaac, qui une fois de plus est l'ancrage émotionnel évident du groupe. Habité, Isaac Wood délivre une performance vocale désespérée au cours de ce disque, qui poursuit l'introspection du chanteur, lancée dans For the First Time. L'écriture de Wood se base notamment sur des analogies très inspirées, ressassées au fil de l'album, ce qui confère à l'ensemble une grande cohérence thématique : on peut citer la métaphore du Concorde, présente dès le single du même nom (piste 3). Ce projet aéronautique franco-britannique, voué à l'échec avec ses crashes à répétition, devient ici le symbole de la relation de Wood avec son ex, relation qu'on devine perdue d'avance : thème si omniprésent qu'il donne même son titre et sa pochette à l'album. Wood n'omet pas non plus son goût prononcé pour la culture et la musique populaire : Warhammer dans « Chaos Space Marine », Billie Eilish dans « Good Will Hunting », ou encore Charli XCX dans « Basketball Shoes », autant de références qui créent un décalage comique bienvenu avec la tristesse prégnante de l'ensemble.
Si la cohérence thématique avec FTFT se fait sentir, l'énorme parti pris fait par le groupe se retrouve ici sur le plan musical. Exit la sécheresse du son du précédent album : Black Country, New Road s'aventure désormais sur les terres du post-rock, dans les traces d'Arcade Fire ou de Godspeed You! Black Emperor. L'orchestre de chambre qu'est le groupe, qui convoque cuivres, cordes et piano, s'impose sur le devant de la scène dès l'intro, et occupe tout le champ musical. Si les fans de la première heure pourront être décontenancés, on perçoit vite qu'il s'agit de rejouer les terribles montées en puissance de « Science Fair » ou de « Sunglasses » sur un registre différent, beaucoup plus pop. En effet, la musique de BC,NR devient encore plus progressive, et bien qu'en interview la bassiste Tyler Hyde déclare que les membres du groupe ont tenté de raccourcir la durée de leurs morceaux, c'est peine perdue : la méthode de composition de BC,NR demeure l'improvisation, le jam, et la durée donne tout leur sens à ces morceaux qui rejouent le plus souvent cette structure de la montée en intensité, jusqu'à des conclusions explosives et déchirantes, orchestrales et harmonieuses.
Citons ainsi les morceaux de bravoure de cet album, dont « The Place Where He Inserted the Blade » et ses choeurs magnifiques en fin de morceau, et évidemment ce final hallucinant de près de treize minutes (!), « Basketball Shoes », qui se décline, comme une bonne tragédie, en trois actes, chacun réussissant l'exploit d'éclipser le précédent tandis que le morceau gagne en intensité. Ants From Up There est un authentique slow burn, d'excellente facture, une réussite éclatante sans presque aucune fausse note (le mixage de « Snow Globes » en est une). A la fin de l'album, Isaac Wood semble révéler le secret de son mal-être, déjà suggéré dans l'album précédent : « Oh, the loan that you gave to me / Your crippling interest ». Il était devenu trop difficile pour lui de chanter et d'assumer en public ces paroles si personnelles, si intimes, et pourtant si touchantes pour tous ceux qui ont été marqués ces quelques dernières années par la musique du groupe. Qu'adviendra t-il de Black Country, New Road sans son chanteur icônique ? Sans doute de bonnes choses tant le talent des six autres musiciens éclot aussi dans ce projet.
En attendant, bon vent à Isaac, et merci pour ce chef-d'oeuvre.
HIGHLIGHTS : CHAOS SPACE MARINE, CONCORDE, THE PLACE WHERE HE INSERTED THE BLADE, BASKETBALL SHOES