Ceci n'est pas (qu')un album
À cause d'internet, le très attendu "Because The Internet" a lui aussi fuité sur la toile avant sa sortie officielle, et c'est bien ce qui emmerde profondément Donald Glover!
Deux ans après un excellent premier disque, Childish Gambino récidive et s'essaie cette fois à l'exercice périlleux du concept-album. Because The Internet, comme son nom l'indique ça parle surtout des dommages qu'a causé l'internet, et que l'internet continu de causer. De la notoriété et des conséquences qui en découlent. De la vie privée qui devient "une anomalie" (cf. les citations assez flippantes des grandes pontes de Google) au faux sentiment de sociabilité sur la toile qui renforce en fait la solitude, en passant par la pornographie omniprésente, qui fausse l'image de l'amour et du sexe (Gambino pousse même le vice, en nous montrant un plan webcam avec cette actrice porno en vogue, dans le clip des lyrics du morceau "3005"). L'ensemble est très sombre et très cynique, mais très intéressant et intelligent, extrêmement riche, extrêmement ambitieux, et artistiquement très risqué...
Parce que cet album ne suffira pas à combler les fans de "Camp", c'est un disque différent et en plus il faut creuser encore et encore pour cerner toute l'étendue de l'oeuvre. Ce n'est clairement pas ce qu'il y a de plus accessible à mon avis, mais bon sang qu'ça fait du bien une production pareille, quand on comprends vraiment où l'artiste veut nous emmener, quand on cerne bien le sujet. Musicalement, certains titres font tout de même écho à ce qui se faisait sur Camp, tel que "Crawl" qui rappelle assez "Bonfire", ou encore "3005" qui rappelle "All The Shine". Gambino slam, il rappe dur quand il veut ("Sweatpants"), il chante aussi, j'ai cru entendre Frank Ocean à plusieurs reprises ("Flight of the Navigator"). C'est très varié, des prods plutôt trap parfois, du rap brut, des ballades… Côté featuring yabon, Chance The Rapper et Azealia Banks font le taff. Jhené Aiko est parfaite comme d'habitude. Les instrus sont soignées et léchées à l'extrême pour le concept, c'est du très bon boulot et Donald confirme donc l'étendue de son talent pour la composition.
Cependant tout n'est pas irréprochable, forcément quand on s'attaque à un tel sujet pour en faire un concept-album on prends de gros risques et l'ensemble est un peu confus, la ligne directrice de l'album n'est pas tout à fait claire. Les pistes sont nombreuses, les interludes aussi. Les connections avec le concept ne sont pas toujours évidentes et ça nous renvoie à ce que je disais plus haut, l'album ne se suffit pas toujours à lui même et c'est fâcheux pour quelqu'un qui ne prendrait pas le temps de creuser du côté du script. Toutefois s'arrêter sur cela ce serait chier dans la colle, parce que l'intention est non seulement louable mais aussi parce que le résultat reste tout de même très bon. Gambino ne manque pas d'ambition et c'est surtout ça qu'on aime voir aujourd'hui. Deuxième essai réussi donc.
script: http://www.becausetheinter.net/