Perpignan, février 2000, je franchis le pas de la porte de Lolita Disques, le disquaire de référence d'alors, décidé à me procurer le nouveau Cure fraichement sorti. Ça tombe bien, il est en train de passer dans les enceintes du magasin, d'ailleurs, Didier le disquaire me confie "Robert est en forme!", je reste alors quand-même sur mes gardes en pensant encore à la semi-déception que m'avait infligé son prédécesseur (pas le disquaire, l'album!). Après les quelques écoutes nécessaires pour se mettre au parfum, je commence à apprécier l'objet, mais la claque que m'infligea son exécution scénique trois mois plus tard, me fit comprendre sa profondeur. Robert était bel et bien en forme et The Cure de retour.
Le groupe revenait pourtant de loin. La décennie 90 s'était achevée de manière diamétralement opposée à son début. Si "Wild mood swings" avait mis du plomb dans l'aile, la tournée des festivals de l'été 98 avait été catastrophique: Des concerts bordéliques, plombés par un Robert pataud et surtout bien bourré... Au moment de passer à nouveau à table pour pondre un nouvel album, les regards étaient ailleurs, et on peut même dire qu'on est passés pas loin du drame ! Oui, l'air du temps pour les groupes de rock d'alors était de sortir des albums électroniques, domination techno obligeant. Si certains d'entre eux rencontrèrent un certain succès, comme "Pop" de U2, d'autres reste à ce jour de grands mystères, comme "Risk" de Megadeth ou "Eye II eye" de Scorpions. Alors, lorsque que Robert annonce que le prochain album sera électronique, on craint le pire. Pourtant The Cure savait bidouiller les machines, "Japanese whispers" était plutôt réussi en son temps, et les trois derniers morceaux sortis par le groupe "Wrong number", "More than this" et "World in my eyes" n'étaient pas si mauvais, mais pourtant un lointain parfum d'arnaque flottait dans l'air. Après un voyage à Damas, Smith se ravise et ce sera plutôt un album "électrique" (avec tout-de-même quelques touches électro) que sortira The Cure.
"Bloodflowers" parait le jour de la Saint Valentin 2000, et propose un album "d'humeur", c'est-à-dire, dans le genre de ce que pouvaient proposer en leurs temps "Faith" ou "Disintegration". D'ailleurs, à l'instar des premiers disques, le morceau-titre clôture l'album. Le groupe ira jusqu'à prendre totalement le contrepied de ce qu'il était convenu à l'époque: Un total de seulement neuf titres et pas d'extrait en single. Un petit coup d'intégrité qui en rassurera plus d'un(e).
Passons à la musique: Le fade-in de "Out of this world" nous mène dans une humeur à la fois nostalgique et contenue. La guitare acoustique, les boucles électroniques et la batterie sourde font bien le job, le morceau pose l'ambiance de l'album: Doux, triste et mature. "Watching me fall" est ses 11'13" de maelström, narre la perte de la fraicheur, le fruit qui au fur-et-à-mesure des saisons se vide de son jus, ce morceau qui est un des sommets de l'album reprend un peu le thème cher à "It used to be me" (Face-B de l'album précédent) et reviendra vers la fin du disque avec "39". Les refrains font mouche et le fan est déjà rassuré. Les trois morceaux suivants seront un peu plus directs, mais tout autant réussis. Le mélodramatique "Where the birds always sing" étant ma préférée, "Maybe someday" a failli être le single et la ballade "The last days of summer" pose un peu plus les choses. Le disque connaîtra tout-de-même un petit coup de mou vers le milieu avec des "There is no if..." et "The loudest sound" pas mauvais, mais un peu anecdotiques. Les hostilités reprendront de plus sur les deux derniers morceaux: Le pessimiste et tourmenté "39" suivi du morceau-titre, "Bloodflowers" nous ramenant sur les terres de "Faith" par l'atmosphère et de "Pornography" par la lourdeur de la batterie.
"Bloodflowers" est globalement une réussite. Il a à la fois réparé le forfait infligé par son prédécesseur, et a proposé une version moderne du Cure version spleen d'antan. C'est un disque de milieu de vie, rempli de doutes et d'interrogations, à cheval entre deux âges et deux siècles. A presque vingt-cinq ans, il a plutôt bien vieilli et mérite qu'on s'y attarde.