La côte est en vue, sabordons le navire.
Après le très enthousiasmant Gilded Pleasures et l'excellente version studio de Monotonia (qui devrait sortir en simple, elle n'existe pour l'instant qu'en clip vidéo, clip où figure d'ailleurs un étrange mélange entre Frida Kahlo et Conchita Wurst...), les Growlers ont décidé de changer drastiquement de son pour leur album "Chinese Fountain".
Ce virage impromptu du bon goût au mauvais a de quoi surprendre, d'autant que le groupe avait commencé à se faire un nom un peu partout.
Corruption du succès ou bravade ?
Inutile de se perdre en conjectures sur les éventuelles raisons de ce changement inopiné. C'est leur affaire, la notre est de juger si le disque est bon ou mauvais, et mauvais il l'est assurément.
La question qui peut se poser est celle-ci : les suiveurs, fans de la dernière heure, vont-ils suivre malgré tout ou bien faire preuve d'un peu d'esprit critique ?
Voilà qui risque d'être rigolo à observer... Il y a fort à parier que l'esprit critique leur fasse défaut et qu'ils restent accrochés au groupe comme les vers qui - certainement - peuplaient les intestins des porcs qui se précipitèrent dans me fond de la mer.
Lorsqu'un groupe atteint un certain succès, il est inévitable qu'une clique de petites salopes hystériques et d'eunuques en pâmoison vienne polluer ses concerts, le concert des Growlers à la Flèche d'Or, et même auparavant à la Mécanique Ondulatoire, était pénible à cause de cela.
Quand je repense à ces greluches qui s'invitaient sur scène pour s'y exhiber - sans honte ni dignité - en gesticulant de façon grotesque, et à ces petites pédales vaniteuses - certainement étudiants en art - qui singeaient la pucelle en extase, la bouche entrouverte et les yeux clos, j'en ai des haut-le-cœur.
Bon débarras donc !
Mais baste, revenons-en au disque.
Est-ce qu'au moins il est original ?
Non, il ne l'est pas.
Original, le groupe l'était jusqu'alors. Quel groupe réunissait avant les Growlers des genres aussi différents comme la musique surf, le reggae, le country ou la musique mexicaine ? Et avec autant d'apparente cohérence, de naturel et d'efficacité ?
Le concept de Chinese Fountain semble être le mauvais goût assumé, ce fameux kitsch recherché par ceux qui agrémentent leur faible personnalité et leur culture lacunaire par une posture vaniteuse de second degré facile et de sarcasme à deux sous, et bien ce concept est vu et revu, usé et sucé jusqu'à la moelle, éculé, galvaudé... ordinaire !
Ainsi donc un immonde synthétiseur est venu remplacer le farfisa, et un effet flanger ou phaser (désolé je ne suis pas spécialiste en effets pourris) a été ajouté au son de guitare, il semble donc que l'on cherche à cibler le public de Gap Dream et celui de Marc DeMarco par la même occasion...
Ces chinoiseries à deux guitares bourrées d'écho (Love Test, Rare Hearts), on en a assez entendu chez ce dernier ou chez Real Estate.
Quant à ces nappes de pseudos violons (Not The Man) dignes d'une complainte italienne de seconde zone des années 90...
Le morceau qui a suscité l'indignation de gens sensés (et l'admiration hilare d'une foule d'abrutis) est surtout le « morceau phare » Chinese Fountain avec ses rythmes disco. Un tube de salle des fêtes de province profonde.
Il y a aussi le premier morceau de l'album, Big Toe : un vilain ersatz de London Calling ! Les petits phrasés de guitare qui font clin d’œil à l'excellente Old Cold River (premier album) ne suffisent pas à nous consoler de cet infect riff brit pop que même les Libertines - qui ne furent pas les premiers à les singer - reproduisaient avec plus de grâce et de dignité dans je ne sais plus quelle chanson sans importance.
Et encore cet infâme hymne de rock à radio qui accumule certains clichés du genre : Good Adivce.
Tempo rapide, riff quasiment punk, évolutions rythmiques grossières et communes et même un couplet vers la fin de la chanson où la voix n'est accompagnée que de la basse et de la batterie. Avant que le refrain reprenne, on s'attendrait presque à entendre un crissement de plectre sur les cordes. Pourquoi pas, histoire de faire les choses à fond ? Avec un effet mégaphone sur la voix.
Horreur...
Même le Black and White des Hives était plus réussi et avait plus de panache (ce panache fut-il constitué de trois plumes de croupion de pigeon)... C'est triste de voir un groupe aussi bon et curieux que les Growlers se vautrer dans tant de vulgaire banalité.
Les Growlers ont tenu aussi sur ce disque à affirmer leurs influences reggae. Jusqu'ici elles étaient subtilement mélangées avec les autres influences, on les surprenait sur quelques passages, mais ici elles sont d'avantage mises à l'honneur avec Dull Boy et Going Gets Tuff. Cette dernière est la chanson des Growlers qui fait le plus penser à la musique de Bob Marley, on s'en serait allègrement passé.
Pour autant ces deux chansons, qui auraient été les pires des albums précédents, sont les meilleures ici, c'est dire...
Une chose se confirme à l'écoute de Love Test : cet album est considérablement ce que les Growlers ont fait de plus mièvre. Le refrain est particulièrement dégueulasse tant il est sirupeux. Sur Rare Hearts on trouve même un couplet en spoken-word, le gros truc de lover à la gomme, pitié ! Et comme si ça ne suffisait pas, on a ajouté quelques petits glissandos façon hawaïens. Seigneur...
Le coup de grâce est porté avec Purgatory Drive : jamais des guitares électro-acoustiques n'ont eut un son aussi vilain, même aux concerts estivaux donnés par des musiciens en catogan dans les mauvais restaurants de stations balnéaires populaires où l'odeur de graillon se mêle avec celle de crème solaire et où des vendeurs roms vous proposent avec insistance d'affreux joujoux clignotants en plastique.
La rupture entre Gilded Pleasures, qui s'inscrivait dans une continuité, est considérable et incompréhensible, le son du groupe est affreusement métamorphosé, ce n'est plus le même univers esthétique et musical, ce n'est plus non plus la même qualité, ce n'est plus le même niveau, c'est une déchéance.
À moins d'un miracle, c'en est terminé des Growlers, leur dernière bonne chanson sortie s'appelle Monotonia, le changement est assassinat prompt.