Dire que l’attente autour d’un nouvel album d’Orelsan était considérable est un euphémisme. Révélé aux yeux d’un plus grand public en 2017 avec La Fête est Finie, qui semblait clôturer une certaine trilogie du rapper de Caen; on était pas certain de le revoir de si tôt dans les bacs. D’autant plus que l’ami Orel’ n’est pas du genre à multiplier les featurings avec d’autres, et que son actualité était donc bien morne (on notera brièvement Millions, collaboration au final passée bien vite inaperçue malgré la popularité de Ninho).
Et pourtant, c’est au détour de l’épisode final de sa série documentaire Ne Montre Jamais Ca A Personne que l’artiste nous dévoile un nouveau projet, sobrement intitulé Civilisation. Cris de joie de fans, belle surprise de fin d’année. 4 ans plus tard, le projet a pu mûrement se réfléchir pour enfin sortir. Dans San, Aurélien assurait “Orelsan Part 3, San le dernier de la saga”. Mais comme il le disait lui-même plus tard : “…y avait que 3 Star Wars au début…”
Une comparaison tellement bien adaptée que l’on se rend compte que ce nouvel opus prend le même chemin ravagé que les derniers épisodes sous Disney…
Se dévoile donc à nous ce 19 novembre 2021 Civilisation. Fortement mis en avant par un marketing nous proposant 15 CD différents pour chacune des tracks qui composent la galette, l’émulation est à son comble. La tracklist révélée quelques jours plus tôt nous présentait un projet dépourvu de featuring, à l’exception faite de The Neptunes (collaboration étonnante, notre Orelsan s’offrant donc les services de Pharrel Williams himself rien que ça); et le retour de la fine équipe avec Gringe et Skread revenu distribuer une prod sur un titre. Album qui sera donc sûrement très personnel comme les précédents, et c’est bien là toute l’image qu’on apprécie chez Orelsan.
Commence donc la découverte avec Shonen, intro rappelant San mais sans toutefois la même puissance et la même portée de texte. Il faut dire qu’avec la conclusion de l’album précédent, ou on trouvait un Orelsan finalement un peu plus apaisé avec l’idée d’être adulte et d’avancer dans la vie, il aurait été difficile de recommencer sur ce même thème. Et de fait, soyons franc dès le départ, c’est bien là le problème principal de l’album : son thème.
Le rappeur nous était familier sur Perdu d’Avance, cet ado qui avait du mal à trouver ses repères et nous parlait à tous. Sur le Chant des Sirènes, on le voyait difficilement accepter sa nouvelle condition de star, et toujours rencontrer quelques difficultés pour avancer. Il était touchant, parlant, l’identification de l’auditeur jouait beaucoup sur sa musique.
Cette fois-ci, avec une vague dénonciation de la société dans laquelle on vit, Orelsan semble comme s’écarter, s’éloigner. Sur L’Odeur de L’Essence, extrait sorti deux jours avant pour dévoiler le projet, on assiste à une sorte de mix entre Basique et Suicide Social. Problème : on a pas la gimmick qui pouvait s’avérer sympathique de l’un, ni la puissance lyrical de l’autre. Aurélien débite, enchaine, dans une diatribe sociétale assez bien menée. Si le message est classique et déjà connu, il a ici une certaine forme de puissance. Toutefois, le rapper semble parfois enfoncer des portes ouvertes plus que dénoncer, ce qui peine à rendre compte de cette idée de message fort. De quoi bien annoncer l’album cependant.
Le reste, hélas, s’égare entre tentatives d’innovations ratées et perte des qualités pourtant inhérentes à l’artiste.
Sur La Quête, Orelsan propose d’avantage la chanson française que le rap. Problème, il n’a pas la voix d’un Lomepal, et ces quelques références au passé sonnent moins bien que dans La Morale. On peut d’ailleurs pousser la comparaison avec ses anciens sons sur d’autres pistes de l’album. Bébéboa pourrait rappeler le petit délire de Des trous dans la tête, ou encore Bonne Meuf, mais se révèle au final juste saoulante. Athéna fera forcément echo à Paradis, mais là ou cette dernière se révélait touchante (Orelsan amoureux qui l’eut crû n’est-ce pas ?) ici le message semble moins fort. Peu être aussi car déjà entendu.
Toujours très fort pour conclure ses albums (la crise de confiance dans La Peur de l’Echec, l’angoisse de la mort dans Elle viendra quand même, la leçon de vie de Notes pour trop tard), cette fois-ci Civilisation n’atteind pas son plein potentiel. Quelques volontés de changement, globalement l’idée de devenir un homme meilleur, mais il manque quelque chose. Même le demi adieu “Désolé mais j’vais devoir vous quitter dis-toi seulement qu’on a kiffé” n’apparait pas avec la force de l’au revoir d’un artiste (et j’espère bien qu’il ne s’arrêtera pas là).
Niveau productions, on reste également sur notre faim. Des prods plus éthérées (Baise Le Monde) voir minimalistes (Manifeste), même la collaboration avec Neptunes n’accouche pas réellement d’un grand morceau. On retrouve quelques sonorités également plus électro comme l’artiste l’apprécie toujours, et ce notamment de par la proposition de Skread sur Ensemble. Mais à chaque fois, globalement, il manque ce quelque chose en plus pour réellement faire décoller le morceau. Couplé au flow nonchalant d’Aurélien, on peine parfois à ressentir du dynamisme dans ce qui nous est proposé. “J’viens de Caen, ça s’entend, j’ai l’accent bas normand, j’parle lentement” comme il le disait lui-même dans 2010. Certes, mais ici cela tient plus du défaut que de l’identité de l’artiste.
Même Casseurs Flowters Infinity, s’il témoigne de l’excellente osmose entre les deux compères qui n’hésitent pas à nouveau à croiser leurs rimes, semble faire figure de première maquette de Ils Sont Cools (et le refrain renforce d’ailleurs cette impression).
Concernant la plume, enfin, Orelsan n’a guère changé au moins sur ce plan. Une écriture qui se tourne d’avantage vers la chanson que le schéma de rimes du rap “pur”, et des refrains qui par contre manque parfois un peu de construction (rattrapés bien souvent par quelques répétitions de mots pour allonger le tout). Sur Manifeste, le natif d’Alençon met à nouveau en exergue sa maitrise du storytelling. Récit maitrisé et final qui fera sans doute écho à La Petite Marchande de porte clé, on frôle toutefois d’avantage le récit audio que la chanson, ce qui confère une certaine longueur au son. Cela reste toutefois plutôt de l’appréciation de chacun, et la maitrise du récit est pour le coup réellement à saluer. Problème de l’album : c’est bien le seul son qui se démarque par une excellence de la plume.
Inutile de tourner d’avantage autour du pot, j’attendais Civilisation comme le fan incontesté depuis Perdu d’Avance, je suis tombé de haut, et de très haut. A l’heure ou j’écris ces lignes, les retours sont dithyrambiques pour la majorité, aussi est-ce peut-être moi qui n’ai pas réussi à suivre le virage opéré par l’artiste.
Quoiqu’il en soit, en l’état, je ne retrouve aucun titre qui arrive à m’emporter, rien du second degré et l’humour désabusé qui faisait les textes précédents, ni de cet aspect touchant de l’homme qui malgré son statut iconique, avance parfois bon an mal an dans la vie. Parfois grand enfant, parfois juste par crainte de l’avenir. Un reflet dans lequel beaucoup se retrouvaient. Ici, Aurélien s’affiche comme un artiste dont la voix s’élève contre cette société qu’il abhorre, mais aussi pour sa compagne et sa vie de couple. “J’ai fait un album qui parle que d’ma meuf et d’la société” dit-il dans l’intro de casseurs Flowters Infinity”. C’est bien vrai, et personnellement c’est bien là le coeur de ma déception.
Reste un Orelsan à présent révélé aux yeux du grands publics, et porté aux nues par une nouvelle fanbase qui ne tarit pas d’éloges à son sujet. Après toutes les mauvaises passades et polémiques idiotes du passé, il est plaisant de le voir enfin serein avec son statut. Malheureusement pour moi, je crois bien que la fête est finie…