Je dois être un peu fou. De ce disque, mais pas que. Je me souviens, j'avais découvert l'harmonica à vous coller des frissons de « School » sur une webradio rock, et les cris d'enfants, les envolées de piano me transportaient loin, très loin. Mon père ayant le CD, je l'écoutai vite en boucle, je finis par le connaître par coeur. Il atterrit dans mon MP3 de l'époque, un ancêtre qui a depuis fini sous les roues d'une voiture. Et puis il y eut l'Allemagne. Passau et sa piscine, la neige, la nuit, le froid. Et moi qui chante « Hide in your Shell » ou « Asylum » à tue­ tête dans l'obscurité. Les arrangements sont tous sublimes, le contraste des voix est sidérant, et les textes sont d'une beauté et d'une tristesse déchirantes. Un voyage à Ratisbanne (Regensburg si vous préférez), ville du vent et du gothique, m'amène au détour d'un disquaire où je trouve le fameux disque pour 5 misérables euros. Je fonce, et tout heureux de rentrer chez l'habitant, découvre que le groupe est une passion de jeunesse de mes hôtes. Me voici en fort bonne compagnie – la maîtresse de maison était belle femme – enfoncé dans un moelleux fauteuil pendant que se déroule sur la platine la plainte de « Rudy » ou le délire de « Dreamer ». Il fallait le voir, ce sourire qui éclairait le visage de cette femme ! Plus tard, en voiture, par un hasard radiophonique, nous tombons sur une autre chanson du groupe, issue d'un album moins aimable. Le plaisir est collectif. Fou donc, de chanter ainsi les moindres notes de cet album somptueux. Fou aussi, de retenir ce disque plutôt qu'un autre mais qu'importe, il s'est imposé. Et puis, plus on est de fous, plus on rit, et ce disque est pour ainsi dire une galerie dédiée aux marginaux, aux exclus et aux simples d'esprits. Tout ces outcast auquel le groupe dédie ces quelques sublimes chansons émeuvent. Il y a l'enfant rejeté et brimé à l'école (« School », classique du groupe), les introvertis et paranoïaques (« Hide in your shell »), les doux dingues de l'asile (« Asylum »), les vieux radoteurs (« Bloody well Right »), les frappadingues joyeux lurons (« Dreamer »), les laissés pour comptes (« Rudy »), les fous à lier peut­-être dangereux (« Crime of the Century ») et, pièce de moindre importance, une ode à l'amour et la compréhension, « If Everyone was Listening ». Curieux et signifiant d'ailleurs que cette dernière soit finalement la moins bonne chanson : l'album n'est pas un appel à la compassion, c'est une étude de moeurs, une incursion dans la folie même des personnages. Et la musique le rend bien, toute sublime et grandiloquente que soit cette pop puissamment orchestrale évoquant évidemment les Beatles, en plus grave. L'album égrène 3 classiques du groupe, « School », « Dreamer » ­ qui n'a sérieusement jamais entendu cette chanson ? ­ « Crime of the Century » qui sont placées judicieusement au début, à mi temps et en fin de disque. La fin de ce disque est d'ailleurs d'une cruauté sans pareille, puisqu'il s'agit d'un long passage instrumental où domine une aliénante mélodie de piano et un solo de saxophone qui laisse l'auditeur sans voix et semble rejoindre l'espace paradoxal de la pochette du disque : le cosmos certes, mais où se trouve une prison et un condamné, le fou qui hante l'album du début à la fin, prisonnier de son propre esprit. La perfection rare de ce disque sera sans égale dans une discographie de bonne tenue mais où les autres albums à retenir ont malheureusement vieilli. La folie résiste à l'épreuve du temps, semblent alors nous dire les personnages de ce concept­album qui s'ignore.

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le 8 mai 2013

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Krokodebil

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