Certains pensent encore que pour faire de la grande musique, il faut l’intellectualiser.
Et le fait que Supertramp fasse du progressif n’a rien à voir là dedans. À la limite, dites vous que l’intellectuel est présent si ça vous aide. Au fond, ce sera vrai. Mais ça n’a rien à voir avec le génie de la musique.
À l’époque, Pink Floyd ont beau être de plus en plus géniaux, ils n’en restent pas moins des musiciens complexés. Non, sérieusement, aller aussi loin dans l’expérimentation pour servir la musique rock ? Tous les jazzmen les plus bouseux à travers les Etats-Unis, jusqu’aux adeptes de musiques savantes dans leur tour d’ivoire se tapent les cuisses devant tant d’efforts aussi inutiles.
Alors que ces adeptes de l’élitisme musical aiguisent leurs instruments de cuisine au lieu d’accorder ceux de musique, s’apprêtant à juger quiconque souhaiterait prendre la suite des anglais, ils feront face au crime du siècle.
Mêlons ensemble pendant quarante-cinq minutes le fruit d’une réflexion approfondie sur la nature même d’une chanson pop, et son caractère indéniablement accrocheur et universel.
En d’autres mots : Supertramp est génial, et passe du bon temps à l’être. Supertramp ne se prend pas la tête, mais s’en sert.
Supertramp est le super-héros des gueux de la musique.
Un crime passable d’aboutir à une musique fade et sans saveur, et donc d’effondrement total de votre réputation. Le défi était douteux, l’ambition démesurée, et les intentions pas claires. On était censé suivre ces fous dans un délire mêlant soli interminables, longues plages ambiantes, riffs hard-rock et choeurs aériens. Une envie d’aller le plus loin possible, en ne laissant personne sur le bas-côté de la route.
Il faut un certain génie pour accomplir un crime avec autant de brio. On aura beau condamner les actions, un crime sans bavure et fait avec un certain sens de l’artistique recueille forcément quelques regards admiratifs. Les oreilles n’auront pas été insensibles aux charmes d’un groupe s’amusant à déconstruire les institutions pour les piller, mais également afin de les refaire à leur façon.
Rien que la structure de Bloody Well Right nous en dit plus sur les intentions du groupe que toute interview :
Solo clavier sur partie minimaliste/Solo guitare sur partie rock/Couplet hard-rock/Refrain pop/Transition instrumentale rock/Coupet hard-rock/Refrain pop s’étirant en solo de saxophone
Supertramp fait attention à ce qu’on ne se perde pas. Les couplets et les refrains sont bien là, et le principal se situe dans ces parties, mais le groupe n’hésite pas à rallonger ses morceaux de plusieurs minutes pour donner corps à leurs ambitions les plus géniales.
Cela peut paraître simpliste sur un morceau. Mais étiré à l’échelle de tout un album, l’impression de faire face à un événement sans précédent s’installe.
Bien sûr, tout cela est bien peu de chose face à l’émotion de quelques notes d’harmonica (School), de l’extase devant des chœurs se rajoutant parfaitement à un refrain déjà grandiose (Asylum), ou de l’excitation éprouvée lors d’une montée en puissance sur un break (Dreamer).
Le génie se situe avant tout ici, le reste n’est là que pour nous achever.