1974 : Bowie persiste à programmer la fin du monde (il l’annonçait déjà pour « dans 5 ans » en ouverture de Ziggy Stardust … en 1972) et en repousse maintenant l’échéance à 1984.
Quelques décennies plus tard, bien qu’ayant frôlé à plusieurs reprises la catastrophe, le monde est toujours en (sur)vie…contrairement à Bowie (oh comme ça me fait mal d'écrire ça, tellement je n'y crois pas vraiment en fait).
Riche, inventif, personnel et transitoire, Diamond dogs – avec ses qualités, ses défauts et ses trente ans d’âge - fascine et allume encore comme un vieux whisky, en commençant par cette pochette (œuvre du belge Guy Pellaert), effrayante, avec un Halloween-Jack-Bowie mi-homme mi-chien (finalement asexué pour cause d’attributs trop proéminents au goût d’une censure castratrice ) dans un univers apocalyptique de gratte-ciels en ruines. Halloween Jack, rare survivant de l’ère post-atomique, celle des Diamond dogs, mutants qui font main basse sur la ville dévastée, sol jonché de cadavres, de rats pourris, d’insectes monstrueux… « This ain’t rock’n’roll – This is Genocide ». Ceci pour vous donner une petite idée du contexte de l’histoire, inspirée à la fois de William Burroughs (The wild boys), Harlan Ellison (A boy and his dog) et naturellement du 1984 de George Orwell.
Ayant viré au préalable et sans ménagement l’ensemble de son groupe (les fameux Spiders Ronson, Bolder et Woodmansey), Bowie prend ici en main la composition, la production, les arrangements, les guitares et même le saxophone (son instrument d’origine).
Musicalement, contrairement à ce qu’on a pu en dire, on trouve beaucoup d’idées remarquablement modernes, d’expériences dans les sons et les enchaînements ; Bowie alterne les passages déstructurés et les tubes imparables.
Exemples : la fin de Sweet things (reprise), complètement destroy sur son tempo de locomotive (un avant goût de Station to Station ?) qui aboutit au riff mythique de Rebel Rebel (joué par Bowie lui-même, les doigts en sang) ou le symphonique Big Brother qui donne naissance à la très hachée ronde de la famille squelettique qui clôt le débat. Rock’n’roll with me, c’est la facette crooneuse . 1984, c’est la facette soul . We are the dead, sorte de slow sensuel et stressant brille lui aussi, sur son lit d’orgue électrique, feutré et irréel. Ambiance pesante et fascinante, accentuée encore par un son volontairement métallique et froid, mais aussi par la nouvelle utilisation que fait David Bowie de sa voix dont il commence avec bonheur à utiliser les tessitures graves.
Bref, tout pour déstabiliser les rock critics de l’époque, qui réservèrent injustement un accueil mitigé à cet album, pourtant tellement emblématique de ce qu’est David Bowie : un être en permanente recherche de changement, d’expérience inédite et qui va au bout de ses voyages. Même les plus risqués.