Make a list of all the songwriters who were composing great tunes in 1962. Make an overlapping list of the ones who are still writing brillant songs in 2018. Your list reads : Paul McCartney
Rob Sheffield
Plus de 50 ans après Revolver, Macca nous propose sans doute l'album le plus ambitieux de sa très longue carrière solo, dont la mission principale sera de garder la signature originale du McCartney des années 60 / 70, tout en proposant un son neuf, moderne, parfaitement adapté pour la radio. Et malgré quelques échecs relatifs inévitables dont je reparlerai plus loin dans ma critique, le pari est à mes yeux très réussi. A travers ce fascinant kaléidoscope musical, l'artiste retrouve une immense inspiration et une créativité débordante, digne des plus grandes heures de sa carrière.
Dans la mesure où cet album doit son titre à une belle peinture de McCartney, réalisée en 1988 – qui a d'ailleurs servi à la pochette de l'album – on serait tenté de comparer le travail qu'effectue McCartney sur cet album à celui d'un peintre en pleine effervecence créatrice, pris d'une impulsion soudaine comme le note le journaliste Alain Gouvrion.
Ainsi, à travers ce merveilleux périple en train cosmique, l'auditeur bascule de "stations" en "stations", vers des horizons musicaux très différents que l'artiste explore avec brio.
Après Opening Station, simple titre d'ambiance introductif, qui n'est d'aillerus pas sans rappeler les premières secondes de Sgt Pepper's – ce qui accentue le caractère ambitieux de ce nouveau projet - l'album s'ouvre sur la piste 2, avec le très touchant I Don't Know. Je me souviens que lors de ma première écoute, j'étais plutôt interpellé par la voix de Paul, qui me paraissait bien plus grave, faible et fatiguée que celle qu'on lui connaissait. Alors évidemment, je savais pertinemment que Paulo n'était plus tout jeune mais c'est probablement la première fois que sa presbyphonie se faisait si intense. Et force est de constater que cette voix, aussi fragile que la mélodie (mais dans le bon sens du terme) s'avère parfaite pour ce titre extrêmement introspectif, dans lequel l'Ex-Beatle parle sans tabou et sans retenue - peut-être pour la première fois de sa carrière entière avec autant de sincérité – de ses faiblesses, de l’absence de réponse aux questions qu'il se pose, et de son changement de regard porté sur la vie avec le temps.
Après cette introduction absolument poignante, l'auditeur peut enfin commencer son périple à bord de ce train céleste... Viennent alors trois 3 des 4 singles de l'album, pensés indéniablement comme des « hits », s'enchaînant dans un ordre parfait. Le premier, probablement mon préféré de la trilogie, est Come on to me, un rock extrêmement entraînant, au riff diablement efficace, grace auquel McCartney parvient à montrer avec classe qu'il est toujours capable de pondre des œuvres énergiques qui n'ont rien à envier à son I Saw Her Standing There, composé 55 ans plus tôt.. Puis après le sympathique Who Cares, dont le clip avec Emma Stone est franchement bien executé, intervient Fuh You, un morceau co-écrit par Ryan Tedder, jeune compositeur américain, célèbre pour avoir collaboré avec Adèle, Maroon 5 ou encore Beyoncé... Alors pour faire simple, ce morceau est le seul de l'album qui ne parvient pas réellement à trouver le juste milieu entre le style musical de McCartney, et un son bien plus neuf, moderne, et commercial - ce fameux type de son que Daniel Kreps appelait « Charts Spotify sound ». A vrai dire, je rencontre ici à peu près les mêmes problèmes que pour les titres formatés pour la radio du That's Why God Made the Radio (2012) des Beach Boys, dont j'ai d'ailleurs fait la critique sur ce site il y a quelques temps. Ce morceau ne sonne évidemment pas comme du Paul McCartney, et est impersonnel au possible, mais force est de constater que l'écoute reste assez plaisante du début à la fin, et que le clip qui l'accompagne est plutôt bien réalisé (on y sent même étrangement une certaine sincérité assez touchante).
Mais bon, je pense que ce qui me dérange le plus dans ce morceau reste ce « jeu de mot » du refrain, dont McCartney semble fier mais que je trouve, pour ma part, plutôt gênant. Paul chante donc à plusieurs reprises la phrase « I just want it for you... » mais dont la prononciation fait que l'on peut également comprendre « I just wanna fu** you ». Certains me diront que ce type de sous-entendu grivois a déjà été utilisé par les Beatles dans leur génial Day Tripper, avec le « She's a big teaser » qui sonne étrangement comme un « She's a prick teaser » (phrase qui « amuse [d'ailleurs] beaucoup » McCartney, même plusieurs années plus tard). Cependant, alors que je trouve ça plutôt mignon venant de jeunes adultes innocents et naïfs entamant leur vingtaine, ça l'est beaucoup moins venant d'un vieil homme de plus de 70 ans...
S’enchaînent alors un très grand nombre de perles musicales, dont absolument rien est à jeter. Je reccommende notamment Hand in Hand, dont la progression harmonique n'a cessé de me fasciner au cours de mes diverses, Back in Brazil, dont je ne peux que saluer l'ambiance unique instaurée par le son de cet orgue éléctrique ou encore Happy With You, une magnifique ballade à la guitare qui n'aurait rien à envier à un Blackbird ou à un I Will composés 50 ans plus tôt. On y trouve également un morceau qui est probablement mon préféré de la carrière solo McCartney, Do It Now, dans lequel le jeu au piano de l'excellent Greg Phillinganes n'est pas sans rappeler celui de Brian Wilson sur l'album SMiLE – album qui se présente également comme un voyage ambitieux à travers différents styles musicaux.
J'aime voir cet album comme le dernier de la carrière de McCartney, avant le retour aux sources et à une musique plus intimiste permis par l'excellent McCartney III deux ans plus tard. Comme à l'époque de Ram au début des années 1970, Paul se permet tout, ne se prive de rien et n'hésite pas à explorer des horizons musicaux nouveaux, ce qui donne lieu à un album absolument magique, débordant d'idées et quasi-intemporel. Peut-être la manière la plus noble pour l'Ex-Beatle de tirer sa révérence.