El Camino par Benoit Baylé
De leurs débuts confidentiels en 2001 au succès mondial un peu moins de dix ans plus tard, les Black Keys n'ont eu de cesse d'étonner, époustoufler et régaler les tristes enfants des sombres années 2000. Le duo, non-content de distiller au cours de ses premières années de sévices un blues de haute volée sali de distorsions et de riffs tapageurs, se dirige peu à peu vers une accalmie pop aux qualités commerciales beaucoup moins négligeables. Une fois n'est pas coutume : l'album Brothers est un grand succès, amplement mérité tant il tranche directement avec les autres formations garage par sa fraîcheur presque adolescente et sa vigueur turgescente. A croire que le leadership du marché du garage serait réservé aux duos. White Stripes d'abord, Kills ensuite, Black Keys enfin. En cette fin d'année 2011, la voie du leadership est libre pour Dan Auerbach et Patrick Carney. Le couple White n'est plus, les Dead Weather sont inégaux, les Kills constants mais peu excitants. Un trône est à ravir. Peut-être grâce à El Camino, nouvelle production de cette fin d'année 2011 ?
A l'heure où ces lignes sont écrites, les ventes de l'album, inédites en France pour le groupe, semblent répondre positivement à cette interrogation. Toujours est-il qu'à l'écoute perplexe du single et morceau introductif « Lonely Boy », aussi banal qu'un chihuahua dans un concours de beauté canin, la belle époque de Magic Potion se voit dangereusement regrettée. Où est passée la fougue incendiaire de « Your Touch », le groove acharné de « Give Your heart Away » ? Dans la veine revival, mieux vaut se replonger dans les poncifs Fuzztones... Heureusement, « Lonely Boy » est la plus mauvaise chanson de l'opus. Les premières notes et harmonies vocales de « Dead and Gone » enchantent joyeusement, malgré la ressemblance troublante des accords de guitares avec ceux de l'introduction de « London Calling ». Le chant de Dan Auerbach se veut, comme sur le reste de l’œuvre, plus épuré, plus clarifié et lumineux qu'auparavant. Qu'il s'agisse de celui de « Sister », « Money Maker » ou « Mind Eraser », chaque refrain est une bouffée d'optimisme doublée d'un délice de composition. Attention cependant au ton rébarbatif de l'album : si l'ensemble est efficace, il se peut qu'un sentiment de ras-le-bol intervienne peu à peu au cours de l'écoute. Pour contrer l'impression sporadique d'écouter sans cesse la même chanson, il est conseillé de porter une attention tout aussi sporadique à l’œuvre.
Contrairement à Magic Potion ou Thickfreakness, El Camino est un album à passer lors d'une soirée entre amis, en y prêtant une oreille peu assidue. A l'image du premier mini-van du duo représenté sur la pochette, le tout pêche à travers ce que l'on pourrait résumer par le fameux truisme selon lequel « nous sommes condamnés, nous les Terriens, à la banalité », mais regorge tout de même de quelques bons moments. Agréable et pragmatique mais neutre et peu mémorable. Alors, les Black Keys sont-ils les nouveaux rois du Garage ? Le temps nous le dira, mais une certitude demeure : le duo n'a toujours pas trouvé son « Seven Nation Army ».