Je sors du travail, las, par un beau samedi ensoleillé, le cerveau anesthésié par les 8 heures de lumière blafarde de postes d’ordinateurs auxquels il vient d’être exposé, le corps mollasson engourdi par autant d’heures de chaise de bureaux en pleine tempête de climatiseurs. Les 30 degrés qu’affiche le thermomètre pèsent de tout leur poids sur mes épaules, avec la volonté clairement affiché de me faire fondre sur le bitume bouillonnement. Il est 16 heures, plein centre ville. Je croise les habituelles troupes de mecs qui jouent au durs dans leurs survets de l’Inter, de petites-minettes-en-skinny-jeans-Stan-Smith-cheveux-lisses-clopes-négligemment-en-lévitation-entre-les-doigts qui ont pour l’occasion troqué leurs skinny jeans pour des skinny shorts à vous faire frétiller les pupilles, de couples d’âge moyen moyennement épanouis en pleine sortie du week-end et quelques clochards qui cuvent gentiment les kilos de canettes de bières en ferrailles qu’ils ont descendus au cours de l’après midi, allongés sur les quelques bancs profitant d’un position stratégiquement ombragée.
Le casque sur les oreilles, je lance innocemment la musique là ou je l’avais laissé et arrive, intervention divine, hasard fabuleux ou simple enchainement mécanique d’un appareil technologique les riffs électriques électrisant sous hautes tensions de la guitare et le martellement furieusement furieux de la batterie de Deadlock. Une violente perfection à réveiller un mort et à le faire headbanger tellement violement qu’il en mourrait de nouveau.
Je me retiens de ne pas remuer la tête de bas en haut et de haut en bas et de bas en haut et encore en bas et encore en haut et encore et encore et ainsi de suite de manière trop violente et de ne pas sauter sur place et de ne pas reprendre les riffs dans d’étrange bruits gutturaux de vieillards édentés aux poumons de qualité douteuse pendant qu’un ouragan de guitare et de basse et de chant retourne mon cerveau dans l’espace réduit que représente ma boite crânienne alors qu’ils se fait brutalement matraquer à chaque fois que résonne la grosse caisse, un tom, une cymbale. Je remarque alors quelques regards inquisiteurs, mais relativement amusé de passants passant à mes côté, et réalise que j’ai le sourire bénit d’un moine devant un bon verre de vin. Béat.
Je me dis qu’il faudrait quand même que je fasse un minimum attention, un jeune homme qui trimbale son double décimètre avec un sourire d’ahuris en gesticulant comme une des ses figurines à tête énorme dodelinante installé dans une voiture en plein rallye dans les dunes, vraiment ça ne fait pas sérieux. Et puis arrive No Way Out et je me retrouve 47 secondes plus tard dans la même situation, un sourire d’enfant le matin de pâques sur le visage. Et puis arrive Smear Compaign. Et puis No Surrender. Et puis Wrapped.
Et alors que les premières notes de Perfect Angel Eyes pointent le bout de leur nez menaçant, accompagné de sa deuxième partie d’album décevante, prêtent à me faire dégringoler viollement de mon petit nuage de plénitude brutale, à attaquer l’extase violente dans laquelle les premiers morceaux m’ont plongés, j’arrive chez les amis que je rejoint, le cerveau sortie du brouillard, alimenté à puissance maximale par des neurones en conditions optimales, le corps aux aguets, en condition athlétique olympique, prêt à enchainer les Ricards en plein soleil avec la cadence et la dextérité d’un champion de pétanque.