Après un Nursery Cryme exceptionnel qui m’avait laissé sans voix avec les magnifiques Hogweed et Musical Box, on remet le couvert avec un Foxtrot qui a l’énorme avantage de contenir un morceau-fleuve, un atout qui me fait fondre au même titre qu’une pimbêche devant un godelureau au comportement de voyou.
Produit un an après son prédécesseur, Foxtrot a contribué à l’ancrage de Genesis dans les groupes majeurs du prog. La ligne directrice musicale est conservée, on y retrouve de longues compositions, des passages instrumentaux à rebondissements, des paroles poétiques au service de thèmes mystérieux et oniriques, et surtout, la capacité imaginative de ma formation.
L’album s’ouvre avec le majestueux Watcher of the Skies, et son intro qui fait la part belle au clavier de Tony Banks, dans un fondu magnifique qui cède subtilement sa place au riff principal, beaucoup plus saccadé. Un morceau très entêtant, avec un Peter Gabriel très en forme, et qui instaure l’ambiance de l’album en drapant l’auditeur de l’atmosphère poétique de Genesis.
Get 'Em Out by Friday ou Can-Utility and the Coastliners illustrent à quel point le quintette arrive subtilement à mélanger les changements de signatures rythmiques à leur univers déjà décrit. La maîtrise des instruments est frappante, tant ils paraissent passer sans effort d’un style musical à l’autre tout en gardant leur identité.
Mais le cœur de l’album réside évidemment à la fin, avec l’épique Supper’s Ready, chef-d’œuvre de quasiment vingt-trois minutes, témoignage intemporel de ce dont Genesis est vraiment capable. Le morceau s’ouvre très calmement. Accompagné de doux arpèges, Peter Gabriel nous offre d’emblée une ballade tout en douceur avant de nous guider dans son univers fantaisiste bien à lui, tout heureux de conter ses histoires farfelues et bucoliques. Puis vient le voyage spirituel avec son lot d'émotions, oscillant entre moments délicats et introspectifs et crescendos tonitruants et dynamiques. Chaque section s'enchaîne harmonieusement dans la suivante, démontrant les compétences impeccables du groupe en matière d'écriture et d'arrangement. La voix expressive de Peter Gabriel, combinée à des harmonies impeccables et à des performances instrumentales virtuoses, crée une expérience musicale vraiment impressionnante.
Le passage de l’Apocalypse est ancré en moi à jamais. Cette ligne de basse, ce clavier caustique où chaque note du solo semble être une braise de plus qui intensifie la fournaise, cette batterie surpuissante, cette guitare démoniaque, le tout au service d’un Peter Gabriel qui n’a plus du tout envie d’être bucolique et affable…fantastique !!
Ajoutez à cela les paroles bibliques, s’emboîtant dans une histoire cryptique de folie et de souper et vous avez un résultat absolument grandiose.
Si les morceaux entre Watcher of The Skies et Supper’s Ready sont moins marquants que ceux de Nursery Cryme, Foxtrot se démarque toutefois par ces deux-là, surtout le dernier, qui justifie à lui seul l’écoute de l’album. Une véritable démonstration esthétique et technique de ce que cinq génies en synergie peuvent produire. Foxtrot est réduit en tant qu’ « album où il y a Supper’s Ready », et c’est fort justifié.