Une islandaise ayant les traits d'une asiatique, adepte de mélodies tantôt classieuses, tantôt d'une brutalité autistique mais sans jamais frôler le désagréable, est bien placée pour figurer dans le panthéon personnel au vue de l'impact qu'elle eut non seulement sur moi simple auditeur, mais sur la musique.
Debut (1993) m'avait irrémédiablement propulsé dans l'univers sonore et visuel si singulier de la star à l'âge des cartes Pokémon et des cassettes audio léguées par les parents, et Post (1995) a fait l'objet de maintes écoutes au moment où la minorité atteint son point d'orgue. Homogenic, plus difficile à appréhender, amorce l'âge d'or d'une grande artiste et le point d'orgue de la naïveté avec laquelle nous prêtions notre oreille avec ses oeuvres antérieures (le projet Dancer in the Dark / Selmasongs en sera l'aboutissement, mais nous y reviendrons).
Cet opus est biologiquement à part puisqu'il clôt magistralement la première trilogie discographique entamée en 1993, et ce par le biais de sonorités cent pour cent électriques, voire à la musique sonore (Alarm Call), là où les deux précédents disques lorgnaient davantage vers l'indie pop et l'alt rock. Bénéficiant effectivement d'une prestigieuse production signée Mark Bell (de LFO), Homogenic marque un tournant dans la carrière de la chanteuse puisqu'il est l'opus de la femme forte, adulte et idéologiquement explicite. Au placard les récits d'amourette sur fond de dessin animé et de rythme jazzy, Björk sort l'artillerie lourde ipso facto avec Hunter et Joga, convoquant une flopée de thématiques chères à l'artiste telles que la relation Homme / Nature, l'anticipation et les relations humaines ambiguës. La combinaison batterie - claviers - machines électroniques aboutit à un ensemble futuriste de bout en bout, empreint d'une sincère complainte que nous retrouverons dans Vespertine en 2001 (à ce jour l'opus le plus personnel et le plus délicat à aborder), tout en côtoyant une rage démesurée manifestée par cris mélodieux et envolées lyriques en tout genre. À ce titre, Bachelorette, joyau mélodique et instrumental à l'intérêt complété avec le clip vidéo signé Gondry, est le titre le plus représentatif, en plus d'être assurément le titre le plus rock que la chanteuse ait signé.
Enfin, ce qui fait de ce disque une inconcevable pierre angulaire de la pop alternative, au-delà de son homogénéité (facile) et de sa sincérité des plus touchantes, c'est son côté touche-à-tout, faisant que la musique puisse être abordée sous tellement de facettes différentes qu'elle en est passe partout. Debut et Post m'évoquent indubitablement l'image d'un jardin caniculaire sur lequel une voix haut perchée apporterait de la fraîcheur. Homogenic, c'est, paradoxalement, un panel innombrable d'images qui se déploient au fil des écoutes, bien que l'ambiance globale du disque fasse preuve d'une froideur assez incontestable qu'il nous invite à tutoyer (sérieusement, écoutez Pluto à fond au casque). Et elles n'ont pas fini d'en surgir ; c'est la marque des grands albums.
En un mot : grandiose.