L'incroyable versatilité de Frank Zappa, ici "seul" aux manettes / table(s) de mixage, lui permet d'atteindre de nouvelles hauteurs musicales en toutes circonstances, mois après mois. S'il s'est essayé avec plus ou moins de brio à de nombreuses expérimentations foutraques et bon marché, faisant du collage un gimmick de style (Absolutely Free, We're Only In It For the Money, Uncle Meat...) et la moquerie une raison d'exister, Hot Rats apparaît comme un premier travail sérieux, dénué de toute méchanceté délicieuse, virtuose d'entrée de jeu.
Pensé comme un "film pour les oreilles" (Neil Young, Lou Reed s'y essaieront), Zappa s'adonne aux joies de la technique en usant de machines bidouillées survoltées, d'enregistrements sur 16 pistes, superpose les textures et les tonalités pour créer un environnement sonore riche, quasi orchestral. Si les trompettes free jazz et la basse funk brillent sur The Gumbo Variations, l'actrice principale est la guitare électrique de Frank Zappa. Folle et débordante, elle n'a pas à rougir de virtuosité face aux monstres déjà sacrés Clapton, Hendrix et consorts. Le style n'est pas comparable parce que la concision n'existe pas chez Zappa. Elle est démonstration, paroxysmique, jamais modeste. Elle confirme s'il le fallait encore que Zappa est un des plus grands guitaristes de l'ère rock classique et donna de sérieuses idées à tout un vent de culture de rock progressif à venir.
On le croyait hard-rock, il est en fait plutôt jazz. La pièce centrale de 17 minutes est un monument de jazz rock libre, intenable, héroïne planquée à l'arrière d'un taxi roulant à toute allure dans un Bronx qu'on fantasme et où les gros calibres, cols roulés, bérets et cuirs impeccables menacent à tous les coins de rue. Ornette Coleman et Miles Davis auraient très bien pu figurer sur l'album si cette satanée guitare ne bouffait pas tout le gâteau. Si Marquee Moon (Television) et Layla (Dereck & The Dominos) sont des grands albums tout en guitares virtuoses à la structure classique, Hots Rats, sorti bien avant, est un grand album de guitares et de basses virtuoses en mode progressif. Il partage une structure complexe avec les précédents disques de Zappa et invite l'auditeur a y revenir plus d'une fois pour comprendre toutes ses subtilités. Voilà l'une des digestions musicales les plus passionnantes de 1969. On en boufferait à tous les repas des comme ça.