"Why if everyone feels so homesick are they always setting sail ?"
Les voilà, Les Drones, pleins de fureur, de colère rentrée, prête à exploser, le voilà, l'album le plus intense de l'année, de la décennie, peut-être même davantage. Ils arrivent, sous un déluge de guitare électrique, ils ne viennent pas faire du rock pour vous faire bouger la tête, non, ils ont deux trois trucs à dire et ils comptent bien vous l'asséner avec le plus de force possible. Ils n'y vont pas à fond tout de suite, non : les Drones connaissent les vertus d'un bon crescendo et savent tempérer leurs ardeurs.
Ça commence de façon calme, mais déjà il y a un détail qui intrigue, une alchimie bizarre entre le piano et la guitare saturée, une sorte de dissonance qui donne le ton : si vous cherchez de la belle, de la noble musique, il faudra voir ailleurs. Ça dure une minute, puis Gareth Liddiard, le chanteur, monte sur scène, avec sa voix mi-bourru, mi-pincé, et se met à haranguer la foule. Lui non plus ne commence pas immédiatement à fond, pour autant, sa rage est déjà palpable. Les instruments sont en retrait, la batterie absente, seul le flot de sa voix maintient l'intérêt.
Et puis brusquement, le déluge : les instruments envahissent la scène, la batterie fait son entrée, le rock, pour ainsi dire, prend le dessus. Ce n'est pas du rock bien léché, non, c'est crade, c'est dissonant, le semblant de mélodie présent est salement malmené, avec le chanteur qui beugle plus qu'il ne chante. Et puis le calme revient. La batterie disparaît. Gareth Liddiard reprend sa position de capitaine, seul maître à bord d'un étrange navire ballotté par les vagues. Ce n'était que le premier couplet.
I See Seaweed est un album intense, je le dis et le répète. Un album qui malmène le rock comme personne, mais, grande contradiction, ce n'est pas un album bourrin. Il y a "A Moat You Can Stand In" qui fait figure d'exception, mais à part elle, chacun des morceaux possède de longues plages plus ou moins calmes qui leur permettent de mieux prendre de l'élan. Et puis c'est l'explosion. Comme une vague qui, lentement, doucement, se forme, jusqu'à arriver à son point culminant et déferler de manière d'autant plus intense.
Croyez-moi si vous voulez, ça marche divinement bien. Une structure circulaire, hypnotisante, qui hante, et ça tombe bien parce que ça sonne un peu comme une musique hantée, maudite, entre les hurlements du chanteur et le piano lugubre placé en retrait. Il y a des pistes, comme "Laika", qui ne vous lâchent plus après écoute.
En plus de ça, il y a, comme je le disais, la rage. Une rage sourde et brutale. Ce qui n'est absolument pas incompatible avec les longs passages calmes, d'ailleurs : ceux-ci sont peut-être encore plus terrible que le reste, soutenus par une tension hors du commun, d'un équilibre fragile, prêts à basculer à tout moment. Et quand ça bascule, ça s'en prend à tout le monde, ça fait preuve de tous les excès, jusqu'à de terribles phrases comme "Who cares about the holocaust ?" ou l'assimilation du pape à un nazi (tiens, tiens, ça me rappelle le fameux "Who's Make the Nazis ?" de The Fall... C'est loin d'être la seule ressemblance entre les deux groupes d'ailleurs). Provocations gratuites ? Peut-être. Mais ce serait oublier que "I See Seaweed" est également un album profondément mélancolique. Une sorte de crise existentielle sur partition, le reflet de l'incompréhension d'un homme face à la marche absurde et cruelle du monde.
Car ils sont sur un drôle de radeau, les Drones, et un radeau perdu en plein océan, sans point de repère, sans direction à suivre, ballotté par les vagues. C'est sûr, le voyage n'est pas de tout repos. Mais qui sait jusqu'où ils vont arriver...