On aurait tort de considérer automatiquement ceux qui préfèrent fortement Isn't Anything comme des poseurs anticonformistes. Certes Loveless est l'aboutissement de l'esthétique que Kevin Shields a toujours pourchassée et vous aurez du mal à trouver un album plus singulier, cohérent, transcendant et dans un sens parfait dans le domaine du rock, mais Isn't Anything en plus d'être un très bon album dans l'absolu a un côté plus sympathique. S'il y a bien ici une critique de l'album culte du groupe qui m'est resté en tête, c'est celle de Quantiflex qui écrivait que Loveless laissait peu de place au dialogue. Et il est vrai qu'avec ses pistes vocales et ses dynamiques englouties par un flot continu de guitares distordues, Loveless est plus un album qui se subit, un monolithe de textures liquides. Ou en tout cas qui s'expérimente dans un état de semi-conscience comme on expérimenterait un trip nocturne – et beaucoup de fans vous diront qu'il s'écoute idéalement allongé sur un lit, regard rivé au plafond...
Il tend à échapper à toute analyse « objective » et même après plusieurs écoutes refuse de livrer tous ses secrets.


Et c'est là que Isn't Anything tire son épingle du jeu. Plutôt que d'être la bande son hypnotisante et addictive mais un poil léthargique de vos rêves, de votre jeunesse ; une mixture de fantasmes, souvenirs et regrets tout droit sortie de l'imaginaire, c'est l'effort d'un groupe de rock alternatif encore un peu maladroit qui essaie de la faire. Dans la continuité de son dernier EP fondateur, My bloody valentine ne bascule pas tout le temps dans le shoegaze le plus épais et rêveur, comme par exemple sur 'Cupid Come' et l'excellent 'You Never Should' qui contiennent encore l'énergie adulescente et la désinvolture qui faisaient le charme de la scène rock indépendante contemporaine. Isn't anything compte d'ailleurs quelques mélodies que l'on pourrait éventuellement fredonner (!). Rien que ça en fait autre chose qu'une maquette dispensable de Loveless, qui a de toutes façons une esthétique différente si on exclut le déjà réussi 'All I need'.


Il se trouve donc que Isn't anything apparaît beaucoup plus comme l'oeuvre d'un groupe qui aurait décidé de chambouler un peu les conventions esthétiques du rock sur les traces des Jesus and Mary Chains et non pas comme un projet mégalo dominé par Kevin Shields. Cela se ressent particulièrement au niveau de la présence accrue de la batterie, parfois un peu en décalage avec les textures en lévitation d'ailleurs. Et ce sont elles qui font toute la force de l'album car Kevin Shields a des hauts et des bas dans l'écriture (et le chant) – ceux qui ont écouté les débuts du groupe pourront particulièrement en témoigner. Moins des textures qui enveloppent que des textures brouillées dans lesquelles on se perd. La séparation entre les pistes devient très faible dès Feed Me with your kiss sans que ce soit à mon avis gênant d'autant que chacune d'entre elles est au moins intéressante (sauf la dernière que je trouve plate et peu inspirée, désolé Yoth !). A part pour 'You never should', je trouve que le groupe est déjà à son meilleur quand il ne ressemble plus à un groupe à un groupe de rock. Comme par exemple sur 'Lose my breath', bijou dream pop de trois strophes qui préfigure les textures hypnotisantes d'un 'Blown A Wish'. Une des plus simples de leurs chansons mais aussi une de leur plus belle : la dissonance (douce, on parle de la voix de Bilinda) des couplets met en valeur un refrain de « ouh ouh » mélodiques et complimentés harmoniquement par la basse. Mais surtout elle donne l'impression de se lever seul, en pleine nuit, avec 40 de fièvre dans un endroit sombre qui ne nous est pas familier. Et ma petite préférée du lot, « No more sorry », dont la production incroyable (cette guitare !) en fait la bande son officielle du purgatoire, ou, si l'on suit le texte, des scènes les plus malsaines impliquant un enfant et un adulte...


Non vraiment, Isn't anything n'a rien d'un album mineur qui bénéficierait de la hype de Loveless et n'a pas à rougir devant beaucoup d'albums récents un quart de siècle plus tard. Et puis il y a rétrospectivement quelque chose de fascinant qui émane de ces chansons : bien qu'il soit imparfait et rarement exceptionnel, difficile de ne pas ressentir la confiance, la dynamique d'un groupe qui a trouvé sa voie et possède le potentiel pour sortir un game-changer. La suite, nous la connaissons...

Zephir
8
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le 1 déc. 2013

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Zephir

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