J'ai découvert ce quadruple album très tard. Enfin, je connaissais son existence et écoutais quelques chansons, par-ci par-là, mais j'ai mis du temps avant de l'écouter entièrement. Il me faisait peur, me rebutait même. Après la déception du précédent album, #Humanité, je ne m'attendais plus à grand-chose. Et puis, tout de même, quatre disques, c'est assez énorme. Il faut trouver le temps et la volonté de les écouter. Mais finalement, j'y suis parvenu. Il faut dire aussi que le concert de décembre au Zénith de Paris (avant et après qu'il a eu lieu) m'a beaucoup encouragé à revenir et revenir encore sur toute la discographie de l'artiste.


Du premier disque, dont les seules nouveautés se résument à "Manu dans l'cul" et "Camarade président", il faut retenir le côté rock et révolté (bien que ce dernier aspect ne disparaisse pas dans la suite de l'album). La première nouveauté, sortie plus tôt en single, il me semble, fait quelque peu penser à "J'accuse" dans la crudité de son texte. "Camarade président" termine le disque et fait bien plaisir : le doublement de la voix vers la fin du morceau est réussi, comme toujours, et on est emporté dans ce petit crescendo qui apaise et ravive nos colères tout à la fois.


Je souligne quand même que de toutes les chansons issues de l'album #Humanité, seule "Humanité" vaut vraiment le coup, mais bon. On retrouve donc "Mon Européenne", un chef d'œuvre, "Je suis" et "Mon terroriste", deux chansons par lesquelles j'ai découvert le projet du Manifeste à ses débuts.


Le deuxième disque s'ouvre sur "Libre", un morceau épuré dans lequel Saez évoque la constance de sa révolte et proclame son éternelle liberté : "Je serai révolté jusqu'après ma mort". Puis vient "Liberté", on retrouve les thèmes récurrents de Saez : mainmise de l'argent sur les médias, mainmise des médias sur nos cerveaux, etc. J'ai préféré "Libre" à "Liberté", cette dernière me paraissant un peu moins travaillée.

Puis "Contestataire", un hommage à tous les rebelles et révolutionnaires du monde, quelle que soit la forme que prenne cette révolution : "Toi l'éduc-spé, l'instituteur, toi le paysan au labeur, toi l'artisan, toi l'ouvrier, toi qui mets de l'eau sur les fleurs". C'est magnifique. Le morceau se termine sur le doublement de la voix et sur une nouvelle invitation à l'internationalisme, rappelant "Mon Européenne" : "Frangin la terre est sans pays".

Dans "L'Enfant de France", Saez évoque son patriotisme à lui, celui du "solidaire", conjuguant ainsi son internationalisme, sa vision de la France et son amour pour celle-ci. Bref, on le comprend, ce disque est placé sous le signe de la Liberté.

Puis viennent trois autres morceaux du précédent album, bon...

Je retombe sur mes pattes avec "Les Enfants paradis", on sait que c'est une merveille, pas besoin d'épiloguer.

Puis un nouveau morceau : "La Dame en feu (version longue)", hommage à Notre-Dame-de-Paris suite à l'incendie. Il célèbre ici le génie humain qui peut construire de telles choses -- et on le comprend. Décidément, le doublement de la voix fonctionne. L'orgue, à la fin du morceau, vient couronner le tout. toujours avec lui. J'adore les longs livres, les longs films et, bien sûr, les longues chansons : je suis bien servi avec cet album.

Retour sur une chanson déjà présente auparavant avec le sublime titre "Tous les gamins du monde" qui vient clôturer le disque.


Troisième disque, donc. "La Province" est un hommage à cette France qui n'est pas Paris et ça fait bien plaisir de savoir que tout, en chanson, ne tourne pas autour de la capitale. Encore une fois, une chanson épurée, presque minimaliste qui rappelle "Libre" et, par instants, les disques "Varsovie" et "L'Alhambra" sur VLP. Dans "Ma populaire" , Saez reproduit ce qu'il fait souvent : il utilise la figure d'une femme pour l'allégoriser et parler de ce qu'il considère comme son "prolétariat", un prolétariat parfois fantasmé, il faut dire. Mais c'est sa vision, son idéal.

Vient "Germaine", titre que je n'apprécie et ne comprends pas beaucoup... Je le laisse donc de côté. "À tes côtés", merveilleuse chanson d'amour aux sonorités rock, rattrape la déception : le dernier couplet est absolument génial, magnifique, bref, parfait. On retrouve ensuite "Bonnie", pas mal. Je me réconcilie doucement avec cette chanson qui me rappelle un peu Messina.

J'ai déjà parlé de "Lulu" dans ma critique de l'album du même nom. Chanson parfaite.

Puis, bien sûr, "Ma Vieille". J'en ai lâché des larmes sur cette chanson qui parle de la mère de Saez mais de la mère en général aussi. Les changements de tons, de rythme, jusqu'à l'apothéose finale rendent cette chanson parfaite ; ma préférée de cet artiste, tout simplement. Il décrit ce qu'il voit sans le connaître : la vieillesse. "Et dire que tous les vieux ont eu un jour vingt ans"... Ça vous prend aux tripes. Et puis c'est avec cette chanson que j'ai remarqué que beaucoup de titres de Saez étaient écrits en vers syllabiques. Pour "Ma Vieille", ce sont des alexandrins. Je ne sais pas quel artiste fait encore ça aujourd'hui, mais je trouve ça beau. Cela rappelle Ferré et Brel, bien sûr.

"Jojo", chanson hommage à Johnny, m'a fait apprécier un artiste que je connais très peu et dont la mort ne m'a pas touché du tout. Mais je comprends un peu mieux, à l'écoute de ce titre, ce qu'a pu ressentir ma mère qui est fan.

"Ma gueule", avant-dernier titre, est tiré de Lulu. Belle chanson sur l'amour père-enfant.

Le disque s'achève avec "Il s'endort". J'ai beau l'avoir écouté des centaines de fois, je ne sais pas exactement de qui parle cette chanson... Peut-être qu'à chaque fois je suis trop distrait, c'est possible. Je me suis longtemps dit que Saez parlait de son père, mais je ne suis sûr de rien. Mais même si je ne sais pas qui est le sujet de ce morceau, je sais qu'il est beau. Le piano, comme toujours, bien qu'assez simple, accompagne parfaitement les paroles qui sont d'une douceur...


Le quatrième et dernier disque s'ouvre sur une chanson écrite et chantée en hommage au grand-père de Saez, "Mohamed". Huit minutes trente-deux de tendresse et d'admiration. Une instrumentale encore une fois très simple mais qui est uniquement là pour servir le propos, les vers, les rimes.

La chanson suivante, "Mandela", me touche beaucoup moins.

Ensuite, "La Maria". Je me souviens l'avoir écoutée en boucle, avec "Ma Vieille" et "Humanité", quand j'étais professeur de français et que j'allais au travail avec la boule au ventre : ces morceaux adoucissaient un peu la peine. Ce morceau est magistral, puissant ; et l'instrumentale est absolument géniale ! Elle est extrêmement variée, jamais répétitive. Je ne suis pas sûr d'avoir déjà entendu ce genre de sonorités chez Damien.

"Petrushka" suit un peu cette idée d'originalité dans le traitement du sujet (le titre précédent est même évoqué au début du morceau !). Ici, l'instrumentale laissée sans texte à la fin du morceau est vraiment, vraiment parfaite. Les sonorités russes sont maîtrisées.

"Ma Magnifique", que j'ai moins écoutée, est une nouvelle chanson d'amour. Bien sûr, on y est habitués, avec Saez, mais il trouve toujours de nouvelles façons de dire son amour et vous trouverez forcément une chanson qui vous parlera de ce que vous ressentez.

"Anatoline", chanson sur l'amour homosexuel (qui laisse entrevoir, en ce sens, la chanson "Lui contre moi" de l'album Mélancolie enregistré au Zénith) vu à travers ce personnage, Anatoline. On retrouve ici une formule qui marchait déjà dans d'autres morceaux ("Mohamed", "Libre", etc.) : une instrumentale simple, une diction assez classique et des paroles travaillées.

Je ne reviens pas sur "Notre-Dame Mélancolie" qui est une chanson parfaite au crescendo parfait.

"La Dame en feu" revient dans une "version courte" de six minutes vingt-neuf... Bon, ok, mais on aurait pu s'en passer.

Puis vient le seul thème de l'album ; mais quel thème ! Certainement mon préféré de Saez : "Introduction à l'œuvre" (qui se retrouve à la fin de l'album, ce qui laisse présager encore une longue carrière à l'artiste qui dit pourtant vouloir arrêter la chanson tout le temps) : les cordes sont magnifiquement utilisées. C'est incroyable.

Puis, avant-dernier titre du disque et donc de l'album, "S'ils ont eu raison de nous", l'un de mes morceaux préférés : on pourrait croire à des adieux. Saez en a marre, mais il le dit avec poésie. Au concert de décembre, à Paris, il disait également qu'il avait mille fois pensé arrêter mais qu'à chaque fois il voulait revenir, pour le public, pour lui aussi, bien sûr.

Malheureusement, ça se termine sur "L'Humaniste"... Je ne sais pas ce que Saez a avec cette chanson, mais ça doit être la troisième fois qu'il la met sur un album... bon. Bref.


Un album protéiforme qui manque peut-être du fil conducteur qu'ont en général ses autres albums, mais une œuvre monumentale qui force le respect et l'admiration. Pas forcément la meilleure porte d'entrée pour découvrir cet artiste, mais pourquoi pas. Forcément, après l'écoute de Ni Dieu ni Maître 2016-2019, on repense à toute la discographie de Saez : de VLP à Lulu, en passant, bien sûr, par Messina. "Lulu", justement, mais aussi "Ma Vieille", "Messine", "Marguerite", "Mélancolie", et tant d'autres, et tant d'autres... On pense à nos attentes, toujours plus longues, de nouvelles, de chansons, d'albums ; mais, étrangement, on n'est jamais déçus.

Saez, on se revoit à Nîmes, j'espère.

Jean-Lett
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le 25 avr. 2023

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Jean Lett

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