Le meilleur album de rap français de l'année vient de sortir... voilà ce que mon for intérieur aimerait vous dire, mais il est encore tôt pour siffler la fin de la partie.
En tout cas, la sortie en parallèle du documentaire est indispensable et évocatrice, elle vient renforcer l'écoute de ce nouveau projet.


Nous voilà déjà 4 ans plus tard après "Feu", première bombe lâchée sur le rapgame par Ken Samaras aka Nekfeu. Du chemin a été fait depuis, musicalement mais surtout humainement ! "Bordel qu'est-ce qu'il m'énerve ce babtou parisien à déblatérer ses phrases philosophiques!" : bon, déjà si vous êtes du genre à penser ou à sortir cet exemple de pensée, autant dire que l'album peut déjà vous irriter rien qu'au nom de l'album. Et ce serait bien dommage, car comme souvent avec le jeune grecque, chaque élément qu'il injecte dans ses projets artistiques a une raison d'être, une justification ou une signification bien précise, propre à un état d'esprit qu'il peut avoir au moment d'écrire ses sons.


Ca va être délicat pour ma part de ne pas faire allusion au film, étant donné que les deux œuvres sont profondément liées et ont un but commun : emmener l'auditeur, et le spectateur par conséquent, au sein même de la vie du rappeur. Et bon parisien comme il est, il a fallu qu'il s'en aille loin de Paris pour se ressourcer et se retrouver dans autre chose, pour ne pas se morfondre dans une musique trop conformiste à ses yeux. A chaque son de l'album il y a une histoire qui s'y rattache, il est donc très bénéfique de regarder le documentaire au préalable si l'ont veut se donner un maximum de chances d'aimer l'album, ou du moins le comprendre un minimum dans ses choix.


TUER LE MONSTRE EN SOI. [Chapitre I]
Suivant les préceptes de Nietzsche, sans le vouloir, à travers cet album Nekfeu fait en sorte de ne pas devenir ceux qu'il combat, devenir lui-même le "monstre" qu'il détestait. « J’ai un monstre en moi comme Eren » dans le titre Menteur menteur. Un monstre qui peut se présenter sous différentes formes, un monstre médiatique, un monstre en amour, un monstre en amitié... C'est certainement son projet le plus humain, car en se rendant à différents endroits pour réaliser les tracks, il a su faire ressentir la chaleur des rencontres et des relations qu'il a vécu ces dernières années. Entre les temples du japon, les hommes et femmes de tous bords, les sorties tard le soir dans les ruelles au volant d'une moto digne d'Akira, ou en pleine Nouvelle-Orléans dans un contexte mitigé par l'arrivée d'un ouragan, les excursions dans Los Angeles ... on a toutes ces images en tête et cela a fait son effet sur moi, comme je le pressentais.


Nekfeu se devait d'assumer son nouveau statut de pop-star, qu'il le veuille ou non. Il y a ici de nombreuses allusions qui sont faites à son mal-être, à ses questionnements sur la valeur ajoutée qu'il peut apporter et sur ce qu'il est légitime de faire ou non. En se "cachant" derrière les personnes qu'il juge importantes dans sa vie, il fait le constat d'une vie qu'il ne contrôle plus très bien. Il se donne la mission de tuer ce monstre qu'il y a en lui, il visualise énormément de choses pour avancer et se projette en s'appuyant autant sur son passé que sur l'avenir qui lui tend les mains. Dans le son Pixels, en featuring avec la japonaise Crystal Kay, ou dans le dernier son de l'album 1er rôle, en plus d'apporter de nouvelles notes musicales il cristallise également une existence toute entière. Qu'on aime ou pas le rappeur, il serait ingrat de ne pas voir le naturel dont il fait preuve à travers ses mélodies et son désir de ne pas rester figé, de bousculer ses habitudes pour grandir son âme et donc sa personne, assumant sa vulnérabilité.


TROP DE MAUVAIS ŒIL POUR UNE SEULE PERSONNE. [Chapitre II]
En voulant se montrer rassurant avec sa famille et ses proches, Nekfeu n'oublie jamais d'où il vient et il ne se trompe pas sur le chemin qu'il veut entreprendre. Pour son bien, mais surtout pour le bien des siens. Monter sur scène face à une horde de fans, c'est évidemment un plaisir qu'il tente de protéger pour ne pas s'en dégouter, comme il le dit lui-même "il ne s'est jamais senti aussi seul", même devant des milliers de personnes. Certaines mauvaises langues vont l'étiqueter en disant qu'il se donne un genre dépressif pour toucher l'auditeur, mais ce serait un manque criant d'arguments que de se limiter à ça. Il aurait été plus facile pour lui de profiter de sa vie dorée, de son argent et de sortir album sur album, étant donné son large audimat... et pourtant il a pris le temps et le soin de revenir par la grande porte, trois années ont fallu à cet album pour voir le jour, ce ne sont pas ses états d'esprit ou ses dires qui sont "surjoués", c'est l'homme lui-même qui ne plait pas aux moqueurs anti-élucubrateurs. Faisant passer sa volonté artistique en tant que telle pour de la prétention condescendante... Nekfeu ne dit jamais qu'il est au-dessus des autres, au-dessus au niveau de son intelligence, qu'il écrit mieux qu'un tel ou un tel, c'est son écriture quelque peu alambiquée et ses nombreuses métaphores qui lui donnent cette facette, mais si vous le ressentez de manière négative c'est ce qu'on appelle un complexe. Appelons un chat, un chat. J'écoute vraiment de tout, des sons clubs pour l'été ou autres, qui n'ont pas pour objectif de faire dans l'art lyrical, mais il faut savoir reconnaître le talent chez un rappeur quand il y en a. Nique les clones... et nique la mauvaise foi.


Dans le titre Compte les hommes, en featuring avec Alpha Wann qui rappelle directement l'ambiance du groupe Lunatic formés par Booba & Ali, les deux rappeurs du 75 vomissent leur haine sur les "critiqueurs", ceux qui critiquent les critiqueurs. De ce fait, ils instaurent un effet miroir dans l'entame du son, ils avouent avoir succomber à la mentalité de leurs ennemis en s'abaissant à leur médisance. Tout en remettant à leur place certains acteurs de la scène rap, ils se font leur propre auto-critique. La méfiance et le regret d'être tombé dans l'entourloupe du succès, ce sont des thèmes qui ont beaucoup de sens. Donc, après avoir tuer le monstre qu'il y avait en eux, ils tirent à balles réelles en plein iris des haineux. Sur la quatrième piste du disque Takotsubo, Nekfeu en est bien conscient : il « sent qu’il gêne », car « ils ont la haine que j’monte ».


FUCK LES ONOMATOPÉES ! [Chapitre III]
J'aime beaucoup PNL. Puisque ce sont les premiers auxquels j'ai pensé en écrivant cela, mais il y a bon nombre de rappeurs auxquels je fais référence, je dirais la majeure partie du rap francophone, et même américaine. Nekfeu est l'un des rares représentants d'un genre en perdition, d'une somme de détails qui forment une musique avec des mots, des phrases qui ont du sens, alliant la technique du kickage au chant et à la beauté des rimes, des allitérations et j'en passe. Sur le son Alunissons par exemple, il aurait très bien pu céder aux sirènes de l'onomatopée, lâcher des phrases très légères et des mots qui se répètent en faisant mine de laisser le spectateur interpréter le fond de ce qu'il voulait dire. Non, là Nekfeu nous trace un cheminement musical et c'est tout à son honneur. C'est travaillé, tout comme un scénariste le ferait pour l'écriture de ses personnages. Un cheminement qui se veut à la fois émouvant mélodiquement et élevé lyricalement. PNL et le style planant, "chill", avec un vocabulaire qu'ils sont parfois les seuls à comprendre... c'est un style comme un autre, cela va de soi, et je ne critique pas du tout le parti pris de PNL (il n'y a qu'à voir ma critique de leur dernier album), preuve en est ils ont réussi à fédérer de nombreux fans et à leur faire adopter des "expressionns" qu'ils ne connaissaient pas. Mais c'est aussi une simple façon pour moi d'appuyer l'idée que je me fais des acrobaties vocales de Nekfeu et sur la persistance qu'il essaye de leur donner grâce à l’épaisseur de ses lyrics... réfléchis et percutants. De sa maîtrise de la langue de molière et du respect qu'il a pour les mots, du double sens qu'ils peuvent avoir entre autres.


VOYAGE LÉGER REVIENT LOURDEMENT CHARGÉ. [Chapitre IV]
Et mon écoute légère revient lourdement chargée. L'univers des "étoiles vagabondes" est exquis, tellement varié et haut en couleurs. Un univers très marqué, très représentatif de la montée en puissance du rappeur. Sa manière de jouer avec la langue de molière ne suffisait plus, il fallait qu'il repousse ses limites pour donner de l'épaisseur à sa jeune carrière. Avoir conscience de ça est une preuve de maturité, et il contamine tous ses potes, son entourage s'alimente de sa soif rapologique et Nekfeu, autant que ses amis, se nourrissent les uns des autres de leurs capacités respectives. C'est presque un album de "famille", fait en famille pour la famille. Et le grec nous en fait profiter.
Il y a des ambiances jazzys comme sur Ciel Noir, morceau annonciateur. Des ressemblances avec Kendrick Lamar notamment, quand sa voix commence à "saturer" et à tourner à l'aigu. En vivant un voyage à l'autre bout du monde, un voyage qui se veut léger et sans prise de tête, il revient rempli de richesses et d'émotions qu'il retransmet dans ses sons, il y a ce son Premier pas dans lequel il émet par exemple l'ouragan qu'il a failli affronter durant son séjour aux States et la détresse des habitants locaux, du texte fait d'images. En quelques sortes, l'univers du fennec est donc très diversifié, très instrumentaliste grâce à la participation de trompettiste, de violonistes, de choristes également et les collaborations sont nombreuses (Vanessa Paradis, Damso, Nemir, etc...).


CONCLUSION
Une infinité de choses sont encore à dire sur Les Étoiles Vagabondes, ce nouveau disque doit mûrir, traverser le temps et porter le poids des années pour être juger à sa juste valeur. Quoi qu'il en soit, ce qu'il reste de mon écoute de ce skeud est extrêmement positif. J'ai été ambiancé par Feu, surpris par Cyborg, donc j'attendais qu'il accède à un nouveau pallier et c'est le cas. C'est assurément son album le plus intimiste, le plus abouti de tous. Il y a une homogénéité exceptionnelle, il va à la source et les productions sont distillées efficacement, des sonorités japonaises, californiennes, grecques et elles sont appuyées par des featurings de qualité. La plume de Nekfeu est toujours aussi personnelle, stylisée et référencée, et c'est louable à mon sens. La sérénité est le maître mot de son album et l'univers cosmique qu'il a choisi de mettre en avant est très puisant. Un monde dans lequel il prône la puissance de chaque élément qui constitue notre univers et de la connexion qu'il peut y avoir entre eux, de l'importance de se lier avec des inconnus, d'apprendre des autres pour ne pas se renfermer dans le gouffre de la solitude. La success story ce n'est pas trop son délire, mais il était obligé de remettre les pendules à l'heure. Les Étoiles vagabondes... sous un ciel couvert, mais surtout à cœur ouvert. Bien joué Ken.

Eren
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le 7 juin 2019

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