L'ultime best-of

Dernier album des Beatles, j'esquiverai le sujet de sa conception. Tout le monde connait l'histoire : Let it be est conçu et enregistré avant Abbey Road mais est terminé après. Le jeu est donc de savoir quel est le dernier album des Beatles. Un jeu qui est assez peu amusant vu qu'il me semble assez clairement que par sa conception même, Abbey Road fut conçu comme le dernier album. L'histoire en a voulu autrement, mais ça n'empêche pas qu'on doit voir en Abbey Road, si ce n'est le dernier album de la machine Beatles, au moins le dernier album de ses musiciens.
J'aime, pour ma part, assez peu Abbey Road. La faute à de nombreux morceaux qui ne m'ont pas convaincu. Mais je reconnais à Abbey Road une conception unie et de qualité. On a le sentiment que les musiciens travaillent et avancent ensemble. Pour Let it be, c'est tout l'inverse. On a l'impression que l'album est composé au petit bonheur la chance, de différentes phases de remplissage. Si les bons morceaux sont très présents dans ce disque, c'est le manque d'uniformité qui fait le plus mal, incontestablement.

Un exemple valant mieux qu'un long discours : One after 909. Les Beatles sont tellement en manque d'imagination qu'ils ressortent des vieilles compositions du duo Lennon/McCartney. Le titre est enregistré 12 ans après sa composition. Cela suffit à comprendre le problème. Pourtant, le titre est très sympa, c'est un rock assez dansant, entêtant et très efficace. Mais il souligne le problème de Let it be : c'est un album de remplissage. Comment espérer que de tels titres si différents donnent un sentiment de cohésion ? C'est impossible.
L'album est donc un ensemble de morceaux très efficace et très plaisant mais qui montre également le manque de cohésion et d'idée du groupe. Autre exemple de la déstructuration du groupe : I've got a Feeling. Ce titre est un de mes préférés des Beatles. Et pourtant, il ne reste ni plus ni moins que deux morceaux, un de Paul et un de John mis bout à bout. Alors certes, la voix criante de Paul fait des merveilles et s'oppose parfaitement à celle de John plus calme (et pourtant plus sinistre dans le fond). Puis George offre là encore un magnifique jeu de guitare. Le génie des musiciens permet de sauver les meubles et d'offrir un très bon titre, mais, malgré cela, je pose la question : le groupe n'aurait-il pas du offrir un vrai morceau uni et non un collage ?

L'album fait également la part belle aux chansons sans rapport, composé par un membre où chacun essaye de mettre en avant son talent. On regrettera juste que Ringo n'ait pas fait de même. On a donc trois titres d'anthologie pour les trois compositeurs : John a son Across the Universe, Georges son I, Me, Mine et Paul son Let it be.
George, on le sait, est certainement le meilleur compositeur du groupe, du moins depuis quelques années. Sa trop forte discrétion aux débuts du groupe nuira à sa capacité à se mettre en avant durant la suite de leur carrière. Pourtant, on l'a déjà vu plusieurs fois par le passé, George est aussi bon guitariste que compositeur. I Me Mine est un titre à la fois lourd et doux. Evoquant avec justesse tous les maux liés à l'égo, George hésite presque entre balade, douceur, envolé et passage rock à tout péter. Ce titre marque également le dernier enregistrement des Beatles, enregistrement qui se fait sans Lennon. C'est une page qui se tourne et permet de montrer le génie de Harrison.
Très controversé par le travail de Spector, Accross the Universe jouit, cependant d'une ambiance assez grand public. Le titre gagne une facilité d'accès et montre également tout le génie et la douceur de Lennon quand il tente de faire passer ses idées cosmiques. Magnifique à souhait, envoutant et séducteur, ce titre est aussi la troisième piste du disque, et clairement un des premiers temps fort. C'est un morceau qui touche jusqu'au plus profond de nos âmes.
Quant à Let it be, je me demande s'il est encore nécessaire d'en parler. Un piano magique, des paroles bouleversantes, un timbre de voix parfait, un solo de guitare parfait. Une cohésion rare qui s'offre pour le grand moment de Paul. Là encore, le groupe s'arrête mais son talent est encore assumé. Etrange au possible, c'est peut être autour de Paul que s'unit pour cette ultime fois le génie des Beatles. Impossible de ne pas être ému. D'ailleurs, Let it be est un des rares titres qui a certainement touché une énorme partie de l'humanité. Parfait comme rarement, ce morceau mérite de donner son nom à l'album.

Cela dit, on a d'autres moments forts, bien entendu. A part ces 3 compositions splendides ainsi que les quelques titres que j'ai déjà évoqué, nous avons notamment le groovy Get back. Petit blues mis à la sauce rock façon Beatles, Get Back donne immédiatement envie de danser. Fermant donc l'album sur ce bon titre, il faut se rappeler que l'album devait s'appeler Get Back à l'origine. On comprend, cela dit, face aux autres mastodonte de compositions, pourquoi ce titre n'a pas été gardé.
Juste avant de finir l'album sur Get Back, on a un autre titre Blues, de Harrison cette fois. For you Blue est un petit morceau de Blues assez proche des titres traditionnelles. Très efficace, on se rappellera surtout du solo à la hawaïenne de Lennon. Simple et efficace mais particulièrement marquant et amusant. Puis le changement de soliste est appréciable chez les Beatles.

On a aussi, pour commencer l'album Two of Us. Sympathique, cette petite balade qui fait la part belle au chant à deux, à la guitare ainsi qu'à une ligne basse réalisée sur guitare. Malheureusement, le titre, malgré sa beauté des paroles et du chant quand même très répétitif. 3 minutes de cela donne le sentiment d'entendre trop de fois la même chose. On aurait pu écourter le titre de 30% facilement, c'est dire !
Il laisse la place à Dig a Pony, un morceau sans aucun sens, typique de Lennon. Un blues très mollasson au niveau du son dans les couplets si on le compare à un For you Blue. Les refrains sont simplistes là encore et on pourrait s'attendre à mieux, même si ça plait à l'oreille. On est quand même en fin de carrière des Beatles, pourquoi aussi peu d'inspiration ? Pourquoi on se croit encore en 1963 ?
Long and Winding Road fut le dernier single des Beatles, ce qui est assez dommageable. Le morceau est très lyrique, très doux mais aussi très raté. Je ne peux m'empêcher de le voir comme un Let it be loupé. C'est pas doux, c'est mou, c'est pas touchant, c'est ennuyeux. En un mot comme en cent, c'est le morceau que j'aime le moins de tout l'album.

Preuve que l'album est vraiment composé de purs remplissages, deux pistes font moins d'une minute : Dig it et Maggie Mae. Dig It est, à l'origine, un long bœuf du groupe, qui sera raccourcit au fur et à mesure pour l'album. A la fin, ce qui reste est donc le summum du ridicule. Inexploitable autrement, c'est une poignet de seconde que l'on offre, comme une façon de remplir l'espace. On ne peut s'empêcher de comparer au Medley de Abbey Road... Quelle est triste cette comparaison.
Maggie Mae est une chanson traditionnelle de 40 secondes que les Beatles s'amusent à réaliser avec humour. Ca ne casse pas trois pattes à un canard, mais pour moi ça reste un moment agréable car je sais qu'après, nous avons I've got a Feeling.

On l'aura compris, Let it Be n'a quasiment aucun raté (Long and winding Road et Dig it mis à part), il possède un ensemble de titres magnifiques, parmi les meilleurs du groupe (Across the Universe, Let it be, I Me Mine) et plusieurs des titres de « fonds » qui se veulent sans prétention sont, en réalité, des belles pépites (I've got a Feeling, For you Blue, One after 909, Get Back). On a bien sur des phases un peu moins séducteurs (Maggie Mae, Two of Us, Dig a Pony) mais ceux-ci n'étant pas raté, simplement pas assez bien conçus, on pardonne et on appréciera les morceaux.
Malheureusement, derrière ça, on a une absence de cohésion qui s'entend beaucoup trop. Le besoin de remplir le disque est aussi criant que le peu de cohésion des membres. Chaque titre semble isoler sur son ilot et quand on essaye de voir une volonté unificatrice, cela a totalement disparu. Incontestablement Let it be contient énormément de bons morceaux, vraiment beaucoup. C'est un album des Beatles qui contient une proportion gigantesque de réussite. Malheureusement, en soi-même, l'album souffre de la fin de vie du groupe et n'offre, réellement, comme album, guère plus d'intérêt qu'un best-of.