Ce mec a quand même enchaîné "J'accuse" et "Messina" à la suite. Deux chefs d’œuvres qui m'ont traversé de part en part et qui continue de m'habiter depuis leur découverte. Il a fait deux monuments de la chanson française, pour moi, d'affilée. Je pensais même pas qu'il arriverait à faire un meilleur album que "J'accuse", mais si, il a réussi... c'est juste l'apothéose, un voyage immense. Durant toute l'écoute du disque, Saez nous invite à une ballade nocturne sur le port, où il nous confie ses histoires, qui deviennent les notres. On pourrait sentir la mer dans sa voix...
Le premier disque est le meilleur (comme dans "Varsovie-l'Alhambra-Paris": on a tendance çà les comparer, mais il y a peu de points communs entre eux). Il débute en fanfare avec "Fin des Mondes", qui met le décor d'emblée. Déjà là, il nous embarque dans sa rage, et on est avec lui. Même si on comprend pas à qui il dit "fuck you, (...) sir", on le pense avec lui. "Les échoués", avec ses guitares énergiques au possible, est magnifique. "Betty", chanson à double sens, est une bonne chanson. "Marie" est un incroyable morceau, qui pour le coup boude le rock pour de la musique classique et une guitare manchot et acoustique. L'hommage à Brel est évident. Son cri aux rêves à Broadway est déchirant. "Faut s'oublier" est elle aussi une très belle chanson, mais là commence un problème sur le triple album, et qui est assez fréquent chez Saez tout court: les mêmes sujets reviennent. Là, seulement 2 chansons après "les échoués", il remet le couvert... ça reste réinventé. "Les Fils d' Artaud", titre très mystique, est le plus bel hommage que je connaisse qu'on ait fait aux marginaux, aux insoumis. Après un magnifique texte, il y a ses "ouuuuh" finaux alliés à une partition au piano minimaliste mais dont chaque note est à sa place, et ça achève comme un rêve par le lever. "Le Gaz" reprend un thème mille fois revus, et manque cette fois d'originalité dans le thème (Gainsbourg avait déjà eu cette idée, mais pour Birkin...). Mais la musique, et surtout cette mélodie si vite attachante, font quand même de cette chanson un régal. "Into the wild" est juste bien au niveau musical (il en fera une version juste béton en live), et délicieux au niveau du texte. Le disque 1 se termine avec "A nos amours". D'accord, c'est pompant au maximum... Mais c'est juste un requiem monumental pour moi. C'est beau à pleurer. Je verrai très bien cette chanson en fond sonore de n'importe quelle scène de fin du monde ou de rupture amoureuse.
Le disque 2 a des ambiances moins variés. On est dans le bourrin pendant toute la première partie, et à la deuxième, le bourrin sors les fleurs de ses poches. Il commence avec "Marianne", où pour le coup la France s'en prend plein la gueule, et c'est d'un défoulant... Écorché vif ou non, on finit par gueuler avec lui, limite. "Sur le quai" amasse les clichés au niveau des paroles, mais est très efficace pour la musique (le mariage des cuivres et du rock, comme sur "Debbie", m'avais manqué !). "Légionnaire" est génial. "Webcams de nos amours" est un cas: j'aime beaucoup le texte, alors qu'il y a certains vers incohérents si on les regarde de près. La musique est répétitive, mais elle défonce. La performance vocale est également à souligner, je crois qu'il n'y a que deux secondes sur les 4 mn 34 où il reprend sa respiration, et je rappelle qu'il scande en hurlant, il se donne vraiment à fond. "Ma Petite Couturière", la fameuse, que notre ancienne Ministre de la Culture ne risque pas d'oublier, est représentatif de sa révolte à l'état brut, avec une composition parfaitement imprévisible. Ça dépote. Le bourrin arrête de foncer avec "Je suis un étranger". J'ai toujours trouvé qu'il manquait de chanson sur les immigrés, c'est bien qu'il l'ai fait. Très bonne chanson. "Planche à roulettes", qui est pas évidente du tout à comprendre, a un refrain d'enfer très entraînant. Le deuxième disque s'achève avec "Rois demain", une de ses plus belles chansons d'amour et une des plus belles chansons d'amour tout court, selon moi. Pour une fois, il montre également les effets bénéfiques et magiques que peuvent avoir une femme sur un homme, et semble ici rendre hommage d'avance aux femmes qui viendront l'aimer. Bon, la guitare s'éternise sur la fin, mais ça reste quand même un véritable sommet de poésie.
Le troisième album est le plus long, le moins accessible, le plus instrumental et celui qui est insufflé de musique classique (sur les deux premiers disques, ce n'était le cas que pour "Marie"). Il commence avec "Thème Les Quais de Seine", très beau. Il l'a joué en acoustique avec paroles sur scène, c'est vraiment quelque chose. "Aux encres des amours" renoue avec la chanson de rupture. La musique est très belle, avec plusieurs ambiances très romantiques et les paroles sont quasiment d'un autre temps. Mais déjà, on comprend que le ton sera très funèbre, contrairement aux eux autres qui incitaient au mouvement. Même "Messine", qui est relativement une chanson optimiste, a une mélodie tristounette. On est même plutôt soulagé quand il y a le retour bref du rock à la fin. Quant aux paroles, rien à dire, chapeau. "Les Magnifiques", je trouve ça vraiment nul. Déjà le paroles sont incohérentes, ou répétitives, ou tout simplement clichés, et surtout, plus rabat-joie que ça, c'est difficile de faire pire! Mais la voix (surtout quand il s'emporte à la fin) et la musique sont quand même valables. "Les Meurtrirères", titre particulièrement apprécié chez les fans, est d'une beauté absolue. Il mélange la rupture et la politique, la douleur et l'incompréhension, et parle parfaitement de la solitude brusque et définitive. Tout est là, y' a plus qu'à monter dans les Tours. Mais là où il se renouvelle dans "Les Meurtrières", il ressasse sévèrement sur "Bouteille à la Mer": c'est un résumé de tout le vocabulaire utilisé dans le triple album ! Mais la musique est digne d'un compositeur de musique classique. C'est là qu'on voit la diversité étonnante de son talent musical. "Ami de Liège" est juste énorme. Et hélas, alors qu'il a été écris pour un fait divers en 2012 (ou 2013 je sais pas), il a été encore plus d' actualité en 2016... comme quoi, cette chanson est intemporelle, quoi qu'il arrive, et n'importe où se place l'action, les larmes sont pareilles. Et on est là, terrassés par la beauté de cet hommage, et les chœurs à la fin, totalement mystiques (sérieux, comment ne pas avoir de frissons ?), pourraient presque passer pour les ultimes râles des victimes. Il enchaîne avec un autre chef d’œuvre absolu, un sommet dans la discographie entière de Saez, "les Bals des Lycées". C'est juste incroyable. Et dire que moi même qui suis lycéen, je comprend déjà ce qu'il veux dire... Je suis même content, pour une fois, que la chanson se termine ultra-lentement. A écouter absolument. Incompréhension pour le thème des Encres de nos Amours: quel intérêt ? fallait à tout prix allonger le disque ou quoi ? certes c'est beau, mais comment dire, on l'a déjà entendue quoi... Le voyage au port se rapproche du dernier ponton, au-delà c'est la mer, la noyade. Et il nous parle de Nelly et Bruno... on le sent intime comme jamais. Malgré que le texte est encore une fois impeccable, il aurait pu mettre des taches de soleil pour, justement, leur dire un peu comment ils ont "sauvés sa peau"... Le piano meurt. L'aube arrive sur le port. Saez a sauté sur un bateau, il est parti à l'horizon, tel Frodon Sacquet après avoir porté l'anneau. Je pense sincèrement pas qu'il arrivera à faire mieux que "Messina": le niveau est trop haut cette fois. Pour lui comme pour la chanson française actuelle.