« De la musique avant toute chose » disait Verlaine dans le très célèbre Art Poétique, « et pour cela préférer Booba » aurait-il pu ajouter.
Auteur, interprète, Booba, de son vrai nom Elie Yafa, aussi surnommé le Duc, se fait connaître dès 2000 avec son groupe Lunatic et plus particulièrement avec l'album Mauvais œil, aujourd'hui érigé en véritable classique du rap français. Les albums et les succès s'enchaînent ensuite en solo avec Temps mort, Panthéon, Ouest Side, 0.9, Lunatic, Futur, D.U.C et ce qui va être l'objet de notre chronique aujourd'hui : Nero Nemesis, sorti le 4 décembre 2015.
Déesse de la juste colère dans la Grèce antique, Nemesis s'est vue souvent associée à la vengeance. Booba souligne cette passion archaïque dans la chanson Talion, référence directe à la loi ancestrale que le poète grec Eschyle illustre ainsi : « Qu’un coup meurtrier soit puni d’un coup meurtrier ; au coupable le châtiment ». Passion archaïque dont les premières traces apparaissent dans le Royaume de Babylone, et passion pré-chrétienne qu'évincera le Christianisme au profit du pardon et d'une volonté rédemptrice, la loi du Talion devient acte et symbole anti-chrétien comme le suggèrent ces vers : « Crucifiez-les tous comme Jésus, Le Duc arrive à Nazareth ». Tel Attila à qui il consacre d'ailleurs un titre, Booba sévit en vrai Fléau de Dieu ne cessant de clamer, je cite : « Attila mon ancêtre »
Nero Nemesis est un retour à une époque antédiluvienne, à la fois Nero Nemesis et Nero Genesis. Le terme « Nero » évoque à ce titre l'origine ethnique. « Nero » comme « Noir » évidemment, mais il ne faut pas oublier la polysémie linguistique de ce terme signifiant « génie » en finnois. Du génie donc, dont Baudelaire annonçait qu'il était « l'enfance retrouvée à volonté ». Après la vision historique, c'est la vision intime, ce que certains nommeraient la petite histoire face à la grande histoire. L'enfance est donc évoquée par une chanson du nom de Pinocchio, qui fait bien évidemment référence à l'univers des contes dont la cruauté rencontre un merveilleux enchanteur. Et nous touchons peut-être ici du doigt ce qui fait la particularité de l'univers de Booba, qui n'hésite pas à mélanger mélodies enchanteresses et propos arides.
Nero Nemesis est un album sur le passé qui s'accomplit justement en adoptant une forme passée. Alors que la musique de Booba n'a cessé de se moderniser jusque D.U.C, album qui marque le point d'orgue de cette modernité et qui en cela souligne les paradoxes les plus profonds d'une démarche continuellement novatrice, Nero Nemesis est un rappel musical d'instrumentations oubliées, abandonnées dans notre décennie flamboyante. Le parti pris est osé mais réussi.
Album rétro donc mais pas rétrograde. Le rétro est d'ailleurs une mode et Booba l'a compris. Il recycle ses vieilles lubies dans une vision post-moderne. L'album se termine avec une chanson intitulée 4G et nous montre que Booba vit non seulement avec son temps mais avec tous les temps. Vindicatif, il défend cette position post-messianique scandant, je cite : « Je suis un selfie, t'es le photomaton ». Du passé au futur, ce futur qui ne cessera jamais de le préoccuper, Booba est à la fois peintre de la mélancolie et de la modernité. Baudelaire du XXIème siècle, il a su au fil du temps imposer une écriture à la fois personnelle et incisive, une écriture dont la figure centrale est la métagore, théorisée par l'essayiste et écrivain Thomas Ravier en 2003 dans un article publié dans la NRF intitulé : « Booba ou le démon des images ». Ce dernier voit dans la métagore, je cite : « des rapprochements qui n'ont pas lieu d'être et immédiatement, une apparition,vénéneuse, rétinienne, brusque, brutale, impossible à se retirer de la tête. »
Entre hier et demain, Booba est là et n'a toujours pas fini de nourrir un univers hanté par une horde d'obsessions personnelles, Booba n'a pas fini de nous étonner.