Reflektor, le nouveau coup de force d’Arcade Fire
Avec une moyenne d’un album tous les trois ans, il était légitime d’espérer quelque chose de la part d’Arcade Fire en cette année 2013, trois ans après le chef d’œuvre The Suburbs, récompensé par un Grammy Award. Des rumeurs sont alors apparues, rumeurs devenues ensuite informations concrètes, selon lesquelles les géniaux canadiens travailleraient en studio sur un nouvel LP en compagnie de James Murphy, l’architecte musical de LCD Soundsystem. L’excitation a commencé à se matérialiser chez les fans et puis le groupe a annoncé officiellement, à l’aide d’une campagne marketing mystérieuse et très efficace, qu’un quatrième album verrait le jour pour la fin d’année. Reflektor était né.
Un premier single inoubliable.
Le premier extrait éponyme fut dévoilé début septembre accompagné d’un clip noir et lumineux, à l’image de la chanson, qui sert d’introduction à ce long double album. On y retrouve les thèmes chers à Win Butler et à ses camarades: la mort, l’amour, et les mystères qui entourent ces deux notions essentielles de la vie qui ont toujours été un leitmotiv dans l’oeuvre du groupe. Musicalement parlant, on sent l’influence et la patte apportées par James Murphy dès cette entrée en matière, même si on verra plus tard dans l’album des titres sonnant bien plus « LCD Soundsystem ». Après un très abouti « We Exist », le groupe enchaîne avec l’étonnant « Flashbulb Eyes », le morceau le plus court de l’album (moins de trois minutes), un peu disco et légèrement r’n’b avec un potentiel de single puissant. Le titre le moins ambitieux de Reflektor et donc peut être le plus accessible au grand public.
Voici venir la nuit.
Présenté avant la sortie de l’album, «Here Comes the Night Time » avait déjà frappé les esprits. Chanson aux accents caribéens (l’influence d’Haïti est totale), avec une production mélangeant instruments variés et sons électroniques, on est face à l’une des chansons les plus audacieuses de Reflektor. Ici, Win Butler, prêcheur de bon sens, nous conseille de bouger son corps dans le but d’accéder au paradis, chose rendue facile par le rythme envoûtant et quasi mystique de cet hymne à la fête. Au cas où l’on aurait oublié, Arcade Fire est avant tout un groupe de rock, bercé aux sons de Bruce Springsteen et des Clash, et ils nous le rappellent avec « Normal Person », où Richard Reed Parry accompagne merveilleusement bien à la guitare son leader pour un rendu noisy pop inédit dans la carrière des Canadiens. La présence de Régine Chassagne sur la fin du titre décuple la qualité de cet ode à la différence. Après ce morceau rock d’anthologie, « You already know » part sur des bases plus pop avec le refrain le plus « catchy » de l’album.
Si la présence de Régine se faisait discrète sur cette première partie d’album, « Joan of Arc » nous rappelle au bon souvenir de «Sprawl II» sur The Suburbs, avec une apparition remarquée sur le refrain mais aussi sur les chœurs, provoquant des frissons comme seul sait faire l’alter égo de Win. Le premier disque de Reflektor s’achève donc sur ce feu d’artifice pop romantique qui conclut parfaitement une première partie finalement assez pop-rock mais qui laisse présager une direction nettement différente pour la suite.
De l’autre côté du miroir.
Introduisant la deuxième partie de l’album, « Here Comes the Night Time II » a le mérité de reposer l’auditeur, histoire de mieux déguster l’enchaînement de chefs d’œuvre qui l’attend. Fortement inspiré par la mythologie grecque, Win Butler évoque les amours perdus et retrouvés avec les très émouvants « Awful Sound » et «It’s never over » référence à l’histoire tragique d’Orphée et d’Eurydice. James Murphy aux manettes apporte l’ingrédient electro qui harmonise parfaitement cette pop délicate et mélancolique chère à Arcade Fire.
LCD Soundsystem n’est plus mais « Porno » est la preuve que le collectif new-yorkais peut continuer d’exister à travers d’autres groupes. Élaboré comme un titre électro aux paroles très mystérieuses, ce morceau est une sorte de rencontre entre The Cure et LCD Soundsystem qui se termine en apothéose. Tout l’esprit des deux plus grands groupes de rock indé de la décennie est synthétisé dans ce contemplatif chef d’oeuvre musical.
La vie après la mort.
« Afterlife » est le deuxième single extrait de Reflektor, c’est aussi la plus grande réussite de l’album. Tout au long des quatre albums d’Arcade Fire, l’amour et la mort ont toujours eu une place prépondérante, « Afterlife » matérialise ces obsessions pour un rendu ultra musical, passionné et passionnant, une synthèse de l’œuvre du groupe, capable de faire pleurer et de faire danser le temps d’une même chanson. La virtuosité des Canadiens n’était plus à prouver, mais elle atteint ici un niveau extrêmement élevé qui nous remémore les plus grands morceaux de bravoure du groupe de «Wake Up» à «Sprawl II» en passant par «My Body is a Cage».
Après une vague aussi puissante et majestueuse, l’album se conclut avec le très long « Supersymmetry» dont la première partie du morceau s’apparente à un atterrissage en douceur après un long voyage spatial. Une fois le vaisseau posé, et pensant avoir terminé de façon définitive ce périple, l’auditeur se retrouve confronté à quelques longues minutes d’expérimentations musicales électroniques, pouvant en décontenancer plus d’un mais qui s’avèrent être au final un plaisir inavoué. Même en s’égarant sur des chemins jamais explorés et loin de leur traditionnel pop alternative, Arcade Fire a le culot de nous faire tout autant rêver.
Difficile de ne pas être dithyrambique face à un tel album. le collectif nord-américain réussit là où de nombreux ont échoué, expérimenter de nouvelles voies musicales tout en gardant leur univers intact. En faisant appel au génial James Murphy, Win Butler et sa troupe ont crée une oeuvre pop disco et baroque tout en gardant le sérieux propre à leur ouvrage. Si l’on peut reprocher quelques légères longueurs et la relative inutilité et frustration liée à la division en deux disques (même si la séparation entre les deux est cohérente), Reflektor est un chef d’oeuvre de plus dans la discographie des Canadiens et la preuve supplémentaire qu’ils sont, à l’heure actuelle, le plus grand groupe de rock indépendant de notre ère.