Dans la représentation publique d'une personnalité, de plus en plus d'artistes recourent au masque (comme le Klub des Loosers), ou en tout cas un apparat se voulant le plus hors système médiatique possible (comme PNL). Peu, comme Gainsbourg autrefois, manipulent le système médiatique à leurs propres fins en créant un personnage. Gainsbarre, aussi, était un clown se servant de ses addictions comme marqueurs indélébiles dans l'imaginaire collectif. Sauf que, bien sûr, ce qui différencie radicalement Lorenzo de Gainsbarre, ben c'est la déconne "jeune" assumée jusqu'au bout. Pour ma part, j'admet que le personnage de ce Brestois m'a offert une belle tranche de rigolade, sous le Confinement, avec son interview Konbini totalement déjantée. Il n'est le mouton de personne : de toutes façons, ce n'est pas lui. Et si cela peut être frustrant pour ceux qui souhaiteraient connaitre davantage l'Homme que l'Artiste (ce qui est le cas de quasi tout le monde, surtout aujourd'hui avec l’effervescence des ego-trips et autres rappeurs n'ayant rien d'autre à dire qu'eux même), il est toujours possible de trouver des lignes où il se démasque subtilement et à la volée : à quoi ça sert d'être millionnaire si t'es tout seul dans ta maison ? Ou même le titre : Rien à branler. Moi j'aime les artistes qui n'en ont rien à branler, font juste ce qu'ils veulent, à fond dans leur trip. C'est une qualité que possédais des vrais grands comme Zappa, par exemple.
Alors ne pensez pas ce que je n'ai jamais envisagé, il restera pas dans l'histoire de la musique pour ses productions (ou peut-être même son personnage, qui ronronne déjà mine de rien). On va pas dire qu'on écoute Lorenzo pour la profondeur de ses textes (ou même leur cohérence sur certains titres...). Mais il se dégage quelque chose de très frais, très adolescent qui s'amuse dans sa chambre à s'inventer une vie où tout lui réussit. Lorenzo a un vrai sens du rythme , même si "Carton Rouge" n'est pas écrit par Tolstoï, on s'en fout : écoutez ce dynamisme, ce refrain où le son du mot colle parfaitement à la note, c'est incroyablement harmonieux ! En fait, jusqu'à "Bizness", toutes les intrus sont vraiment très travaillées, et évoquent plusieurs genres : tantôt la science-fiction, tantôt le pur bling-bling, tantôt la mélancolie d'un guetteur solitaire... Pour "Bizarre", alors là, niveau délire d'ados on place la barre à fond, surtout avec le partenaire adéquat qu'est Vald (pour ceux qui n'aiment pas son travail habituel, je vous recommande juste "Deviens Génial", qui est totalement différent et est putain d’intelligent, vraiment). C'est ça qui m'a plu dans ce disque : la totale adéquation du mot, quel qu'il soit, avec son thème, proposant des phrases vraiment fortes en plein milieu de délires mythomanes : Pourquoi t'étais Charlie et pas Jean-Pierre Coffe ? (hypocrisie post-7 Janvier bien sûr) ; J'entends les flics qui patrouillent dans les rues... Mon meilleur client c'était Jean-Luc Delarue" ; fume à fond, ouais y'a du monde au balcon (ben ouais, la drogue, ça peut aider à se socialiser pour certains...). Après, je vais pas cacher qu'à contrario d'un Fatal Bazooka, il m'a jamais inspiré de rire dans ses chansons. C'est pour cela que "RAB" s'effoufle vraiment vite après la vraie force de "Bizness" ; les instrus deviennent plus basiques, les refrains virent au complètement à chier ("Sucer la bite" : je sais, rien à branler, mais là quand même poto c'était vraiment inqualifiable de nullité même au 45ème degrés). Et cette baisse ne s'arrête qu'avec "Fume à fond", l'hymne des beaufs décomplexés.
Du coup, ma sympathie pour lui vient essentiellement de son personnage interviewé. Lorenzo ne serait-il qu'un coup de com marketeux ? Non : la plupart des morceaux ici sont bons, ou ont un potentiel d'amplification plus émotionnel. Lorenzo n'a jamais dit autre chose que "Ne me prenez pas au sérieux", ses chansons ne sont rien d'autre que des bonbons au goût de cannabis. Les plaisirs coupables restent des plaisirs, cela me gène aucunement de me détendre les neurones avec ce disque après avoir décortiqué un poème crypté de Ferré. Et, surtout, la production est polie par un travail consciencieux : même les conneries peuvent nécessiter une grande attention dans les arrangements. Il faudrait juste qu'il emmène son personnage vers d'autres horizons... avant que son public, à son tour, n'en ait plus rien à branler de lui.