Les années soixante-dix furent pour Neil Young une succession d’épreuves douloureuses, mais là où d’autres se sont enfoncés dans la drogue, la dépression et la médiocrité artistique, le Loner n’a jamais déposé les armes. Autour de lui les murs se fissurent, le toit menace de s’écrouler, les idéaux s’éparpillent et les compagnons d’hier crèvent par grappes, mais pas question de cesser de marcher, il reste de la route et des paysages à découvrir, des sensations inexplorées, des émotions à développer.
Toute la bravoure et l’intelligence de son parcours se retrouvent dans Rust Never Sleeps, son chef d’œuvre qui vient clore les seventies. Ce disque somme fait le bilan d’une décennie âpre, qui a vu mourir tous les espoirs de la précédente, l’utopie s’est muée inexorablement en cynisme mercantile et les belles idées ont été définitivement enterrées par le punk. Avec sa première moitié acoustique et sa seconde électrique, l’œuvre est une odyssée rock bouleversante qui tire les leçons de la gloire et de ce qu’elle engendre. Elvis Presley vient juste de crever dans des conditions lamentables, tandis que Johnny Rotten et ses Sex Pistols ont pulvérisé les idoles avec une cruelle lucidité avant d’exploser à leur tour. Il y a un monde entre Presley et Rotten, pourtant Neil Young les fait cohabiter au détour d’une strophe. «Rock’n’roll is here to stay » sont les premiers mots de My My Hey Hey, le morceau acoustique qui ouvre cet album. Une phrase qui résonne douloureusement lorsqu’on pense à tous ces rockeurs qui ont succombé au combat, morts pour la cause. Kurt Cobain, ce type qui a tant rêvé de célébrité avant de réaliser que c’était ce qui allait le tuer, inscrivit dans sa lettre de suicide une phrase de cette chanson :
« It’s better to burn out than to fade away »
« Il vaut mieux brûler d’un coup plutôt que de se consumer »
Une interprétation toute personnelle de ce qu’a voulu dire Neil Young, lui qui a survécu et qui, aujourd’hui vieil homme, est encore capable d’injecter une sacré dose d’adrénaline à son public. Le dernier titre de Rust Never Sleeps enfonce le clou. C’est une relecture brutale et vivifiante du même thème. « Hey, Hey, My, My, Rock’n’roll can never die », scande-t-il avec une fureur à foutre la chair de poule. Autrement dit, on peut vieillir dans ce putain de business sans se flétrir ni se prostituer, car le rock’n’roll est une fontaine de jouvence qui autorise la folie créatrice, repousse les limites de l’expression et permet d’entrevoir la liberté dans un monde de contraintes.
Extrait du podcast Graine de Violence à découvrir ici :
Neil Young, se perdre et se retrouver
https://graine-de-violence.lepodcast.fr/neil-young-se-perdre-et-se-retrouver