S'il y a bien un groupe qui se fait constamment descendre - ici comme ailleurs - tout en continuant à remplir des stades et de garder une influence planétaire, c'est U2. Et en mettant 7 à cet album, je lui donne une plutôt bonne note je le concède. Tout comme j'ai bien noté la plupart de leurs albums, parce que je n'ai jamais trouvé que U2 ait fait de la mauvaise musique, malgré les redites. Mais si la bande à Bono sait toujours aligner ses accords, leurs choix me laissent circonspect. D'où le temps qu'il m'a fallu pour lui attribuer une note et écrire cette critique, alors que j'ai acheté le CD peu après sa sortie.
Cet album a du bon, difficile de le nier. A la sortie d'une écoute complète, j'ai la sensation d'avoir passé un moment quand même sympathique, avec une certaine beauté qui transparaît - d'où ma note. La piste d'ouverture, malgré ses paroles "banales", fonctionne par son ambiance travaillée et quelques effets de voix. On aime ou pas, mais j'aime que ce soit une entrée en matière avec une identité. Lights of Home continue assez bien, puis You're the Best Thing About Me est une chanson typiquement U2. Qui ne surprend en rien mais qui, insérée dans l'album, quitte son statut de single mielleux sur les bords et devient sympathique. American Soul a une ambiance particulière, que Summer of Love et Red Flag Day poursuivent bien.
The Blackout est une percée plus rock (et très très légèrement plus hard), qui fait du bien dans l'énergie... sauf qu'on en est déjà à la onzième piste. Tous ceux qui ont soupé de U2 et n'en peuvent plus de leur sempiternel ronron se sont (r)endormis depuis un bail. Si Landlady a un joli flow, elle suit deux pistes qui sont déjà lentes et très peu intéressantes (mention spéciale à The Showman pour la chanson qui m'intéresse le moins du disque). Et le disque se finit très lentement également, ce qui ne sert pas la dernière piste 13 (There Is a Light) qui reprend pourtant judicieusement le refrain de Song for Someone présente sur Songs of Innocence, lui apportant une réelle saveur. Une chanson qui aurait pu être belle, en clôture douce d'un album plus pêchu.
Les textes sont beaux, mais de vouloir mettre en chanson des textes qui se veulent être des lettres donne un rendu... doucereux. Et quand l'orchestration se veut plus rythmée, plus rock, vient l'un des grands problèmes du duo Songs of Innoncence/Experience : un rock très américain. Que je n'abhorre pas, loin de là, quand il va explorer des choses ; ici il est associé à la facilité d'écriture que peuvent avoir les Irlandais. Le moindre riff de guitare qui fait sourire l'oreille est aussitôt suivi de la pensée "Je l'ai déjà entendu". Forcément ça laisse une impression mitigée, voire tiède froide.
Si Songs of Innocence a essayé des choses mais s'est empêtré dans une production trop facile et mièvre, Songs of Experience n'essaye pas grand chose. Peut-être que d'avoir mis l'accent sur les textes a entraîné cette facilité musicale encore plus présente que certaines fois. Et quelque part, ça amène à cet opus une âme qui transpire dans le chant de Bono. Une volonté de transmettre son message, chose qui leur manquait cruellement au début des années 2000 par exemple. Il n'empêche que pour faire un album, c'est dommage de sacrifier la variété musicale.
Cet album va continuer à cristalliser les critiques à leur encontre. Nul doute qu'ils n'en ont cure, mais je ne peux que comprendre l'avis majoritaire concernant leur manque de renouvellement. Et pourtant, ils savent le faire ! Ils peuvent le faire ! Il suffit d'aller jeter un œil... aux bonus. Eh oui. La meilleure chanson de Songs of Experience à mon goût est une des bonus. Book Of Your Heart, qui sort enfin du schéma d'écriture des 13 pistes présentes avec un crescendo constant, débutant doucement pour évoluer sur une intensité croissante. Un schéma qui n'a absolument rien de révolutionnaire mais qui crée une rupture et aurait été plus que bienvenu dans la tracklist officielle !
Mais la version alternative de Lights of Home (St Peter's string) - un autre bonus donc... - est peut-être celle qui résume le mieux la crainte qu'a le groupe à se renouveler et innover. Au lieu de la version certes agréable mais sans surprise qu'est la chanson originale, on a une version très plaisante et beaucoup plus dynamique avec les cordes en rythme dès l'intro et qui portent la chanson. Une version qui amène un réel plaisir d'écoute. Mais qui n'est qu'un bonus.
Le disque aurait-il été autre avec ces deux chansons "bonus" dans la tracklist, et un travail cohérent autour ? Ainsi qu'avec une ou deux chansons dispensables en moins (The Showman, Get Out of Your Own Way...) ? Probablement. Pas de quoi transfigurer totalement l’œuvre, mais d'en extraire beaucoup plus.
En aurait-il perdu sa vocation première et perdu son message ? Je ne pense pas.
Mais U2 en est-il capable ? Capable de s'autoriser à innover sa musique ? Car si amener des beaux textes parlant de l'expérience de la vie est une intention très louable, ne pas prendre conscience de sa propre expérience de groupe (et quel groupe !?) pour évoluer et se questionner sur sa musique... c'est regrettable.