On connait tous la modestie légendaire de Jimi Hendrix. Du coup, quand une journaliste lui demanda :
How does it feel to be the greatest guitarist in the world?
Et qu'il répondit...
I don’t know, go ask Rory Gallagher.
Ce ne fut pas forcément pris très au sérieux. Et quoique Hendrix reste un mythe hors norme qui a révolutionné l'usage de la guitare électrique, en dextérité pure et sens du solo héroïque, l'irlandais Rory n'a pas à rougir de la comparaison.
J'aurais pu pour parler de Rory Gallagher critiquer l'album qui me l'a fait connaitre Deuce, illustrant peut être au mieux toute la variété de son jeu et de ses influences, du blues au rock en passant par la country. Tattoo reste cependant la meilleure porte d'entrée pour découvrir le bonhomme. Ne serait-ce que parce que le premier titre Tattoo'd lady est un tube implacable qui enchante l'amateur éclairé comme le profane absolu. Mélodie accrocheuse, basse et batterie posée, clavier maîtrisé en soutien, guitare déchaînée dans les solos, justement dosée dans les couplets, bref, derechef un tube. Derrière, Cradle Rock prolonge la montée en puissance de l'album qui va enchaîner les perles, jusqu'à l'apothéose Who's that coming.
Ce titre là commence comme un intermède molasse où une guitare folk égrène une mélodie bonhomme. Puis l'électrique prend le relais, la batterie arrive, la basse créée une bulle chaude et tendue où viennent résonner piano et harmonica. Ce n'est ensuite qu'un invraisemblable et jouissif entrelacement d'instruments se répondant - sans jamais tourner à la cacophonie - brodant autour de la même trame que le refrain vient interrompre pour mieux relancer la machine derrière. Rory Gallagher semble démultiplier sa guitare qui surgit de tous les côtés à la fois. Un feu d'artifice de sept minutes dont vous ne ressortirez pas indemne.
A peine passé ce morceau dantesque, Rory Gallagher vous achève avec le second tube de l'album A Million Miles Away, plus mélancolique, plus chargé que Tattoo'd Lady, mais tout aussi accrocheur. Alors seulement, tranquillement l'album s'achève, un petit Admit It pour illustrer une fois de plus la science du jeu du bonhomme, puis une ballade tranquille avec Tucson, Arizona pour un atterrissage tout en douceur (pour ceux qui ont une édition remastérisée uniquement)...
Tattoo est un album qui mérite l'étiquette chef d'oeuvre. Ça déborde de talent, de compositions ciselées comme des diamants. C'est tout un orchestre rock blues étendu (des claviers aux cordes, vous aurez même droit à des cuivres) qui vous invite à la fête ou à l'écoute religieuse.
Et puis pour les accrocs au format vinyle, la pochette à une classe folle, ça s'expose comme un tableau.