Du chaos à l'étoile dansante
Ainsi donc tout ce que les Stones auraient produit depuis "Exile" est à jeter...
Embourgoisés, médaillés par la reine d'un côté et reçu en grande pompe par le président des States de l'autre, plus personne n'attend quoi que ce soit des Londoniens en 1981. Ben voyons.
Certes les albums enregistrés entre 68 et 72 constituent le sommet de leur carrière (et un sommet de l'histoire du rock tout court!), mais personne ne s'attendait non plus à un album d'une telle classe à ce moment précis de leur histoire.
Le déclin du groupe débute en effet en 72 et est intimement lié au déclin de Keith Richards lui-même. Le fameux "Sex & drugs & Rock'n'roll" a logiquement fini par miner le groupe de l'intérieur. Keith, de plus en plus dépendant à l'héroïne, interdit de séjour en France, inquiété par quasiment toutes les polices, va devenir au fil des ans un véritable fardeau. Musicalement aux abonnés absents, son influence même sur le groupe devient quasi nul et c'est Jagger qui va prendre les choses en main. Le remplacement en 74 de Mick Taylor par Ronnie Wood, autrement dit en remplaçant un soliste par un guitariste rythmique pouvant suppléer les défaillances de Keith, permet au groupe de survivre en live. Le point culminant de la déchéance se situe en 76 où Keith s'endort littéralement sur scène, après s'être évanoui la veille lors du concert d'ouverture de la tournée européenne à Francfort.
Il est arrêté en février 1977 à Toronto où il risque la prison à vie. Il entame une cure de désintox.
"Somes Girls" avec son méga-tube "Miss You" relance les Stones en 78. Si l'album est réussi, il reste essentiellement l'oeuvre de Mick et Ronnie. Surtout, il n'évitera pas la lente désintégration du groupe dû aux relations compliquées entre Mick et Keith. Seul maître à bord depuis 6 ans, Mick ne supporte pas le retour aux affaires de Keith. Un conflit qui durera jusqu'en 95.
En ce sens et après le naufrage total d'Emotionnal Rescue" (1979), "Tattoo You" est vraiment une belle surprise. L'album est composé en grande partie de morceaux non retenus dans les albums officiels durant la période 74-79. L'opération peut paraître un brin pathétique, mais pas tant que ça en fait (ils ont fait de même sur Sticky Fingers). Je dirai même que le résultat est assez jubilatoire et d'ailleurs bien supérieur à Goats Heads Soup ou It's Only Rock'n'roll (1973/1974).
La production est soignée, le duo rythmique Watts/Wyman et la guitare de Keith sont bien mises en avant. "Tattoo You" est un pur produit stonien des 80's, c'est-à-dire pas franchement rock/rock (mais Aftermath ne l'était pas non plus, ha ha!) mais néanmoins diablement efficace. Pour avoir écouté des bootlegs d'époque, je peux juste dire qu'ils ont vraiment, mais vraiment bien fait de ne pas les sortir tellement c'était médiocre.
"Start Me Up", un reggae à la base datant des sessions de 1977, est entièrement recalibré "rock" avec un riff bien accrocheur et deviendra un classique sur scène. "Hang Fire" est un rockabilly à la sauce années 80 très réussi et novateur. Une des belles surprises de cette face A.
"Slave" est un funk/rock datant des sessions de "Black and Blue" en 75-76. Le texte est volontairement minimaliste et la qualité du morceau réside dans la quasi-improvisation sur une rythmique ultra basique. Un morceau bien plus puissant que Start me Up. Idem aussi pour l'excellent Little T&A chanté par Keith (c'était juste avant que sa voix ne finisse par se confondre avec le bruit d'une perceuse Black & Decker). Je passe sur les 2 derniers titres assez anecdotiques et qui sont typique des morceaux dont Jagger est capable d'en composer une dizaine à l'heure.
Face B. La plus intéressante à mon point de vue. Composée exclusivement de tempos lents, les Stones y sont d'une classe impeccable. Rien à jeter.
"Worried About You" est très facilement datable (1976) de par sa construction musicale. Sa progression en intensité est assez remarquable et le résultat bien meilleur que son jumeau "Fool To Cry" (sur "Black & Blue").
"Tops" date de 1973 et est le plus ancien. Mick Taylor (qui l'a composé) est à la guitare et, mon Dieu, ça s'entend! Un style et un phrasé qui ont donné ce cachet si particulier à tout ce qu'ils ont fait entre 71 et 74. Un très bon morceau (même le falsetto passe!).
"Heaven" est un titre à l'atmosphère envoûtante, un peu dans le style de ce que faisait Echo & The Bunnymans (ils leurs font d'ailleurs la nique au passage tant c'est bien jouer!)
La ligne mélodique de "No Use in Crying" (1977) est simple et accrocheuse mais à l'architecture très sophistiquée. Keith en vieux routard sait y faire avec son jeu bluesy et lancinant. Là aussi les variations autour du thème musical sont très inspirées.
On retrouve Taylor sur le dernier morceau, "Wainting On A Friend" (1973). Le texte fait un peu sourire par rapport à ce que Jagger à déjà pût écrire, mais son talent de chanteur fait assurément mouche. Une ballade très stonienne qui clôture à merveille l'album. (à noter aussi le génial coup de soufflette de Sonny Rollins).
Voilà donc un album généreux et élégant à classer sans problème, allez, on va dire dans le top 12 de la disco stonienne. Un truc quand même suffisamment solide pour supporter le coma artistique des 15 années qui suivront. C'est dire.