The Astonishing
5.6
The Astonishing

Album de Dream Theater (2016)

Dream Theather est un groupe que je respecte pas mal ("Awake" et "Images and Words" sont des piliers du métal progressif). C'est une formation qui a toujours gardé la démesure en point de mire de leur carrière mastodonte. Ces Américains ne sont pas aussi brutaux que des Suédois, mais ils ont su tirer leur épingle du jeu grâce à leurs morceaux aux structures complexes, à la virtuosité imprévisible des musiciens, et aussi malheureusement à cause de la voix de leur chanteur, presque contradictoire avec leur style (et carrément hors-sujet pour du métal). Alors, personne ne fut surpris lorsqu'ils annoncèrent un double album concept : c'était la suite logique ! Et, évidemment, ils n'y sont pas allés de main morte : outre le format, ils ont écrit une histoire de science-fiction, destinée non seulement à une tournée mondiale, mais également à un film, un livre et un putain de jeu de société ! Même Pink Floyd n'y a jamais pensé. Forcément, une telle ambition et une telle confiance en leur oeuvre, sachant que l'idée d'un album concept par Dream Theather était attendue, ne pouvait que faire monter la hype à un niveau dangereux. Je n'ai pas vécu la sortie de l'album en tant que connaisseur du groupe, mais je me mets à la place des fans et il y avait de quoi être impatient. C'est facile d'ailleurs, puisque même en ayant écouté cet album, je reste hypé par ses fondations. Et puis, il est sorti.
"The Astonishing" raconte l'histoire d'un futur "dystopique", où les musiques sont produites par des Drones dirigées par des tyrans (les radios d'aujourd'hui en somme). Un enfant naît, possédant un talent irrésistible pour la musique à la main... Le postulat est bon. Mais alors, pourquoi le traitement de l'idée manque à ce point-là d'originalité ? L'histoire n'est pas ratée, elle est nanardesque au possible. Tous les clichés possibles et imaginables sont ici, que ce soit le fils qui fait le méchant pour attirer l'attention d'un père méprisable (et roi), la romance entre le jeune héros et la princesse, la résurrection grâce au pouvoir de l'amour... Je parle toujours d'un album de métal. Je ne comprends pas qu'on puisse valider une vision aussi niaise dans un climat censé être désespéré,qu'est-ce que c'est que cette histoire où tout le monde il est beau tout le monde il est gentil, vive la musique, vive le monde, allez bonsoir ? Les paroles valent le coup d'être traduites, elles sont hilarantes. On a l'impression qu'on nous raconte une histoire ratée pour enfants. Et ce qui est drôle, c'est que la musique suit. James LaBrie avait réussi à l'éviter jusqu'ici, là il franchit la ligne : il chante comme dans une chanson Disney. Sauf que ses camarades, cette fois-ci, sont dans le même délire. Le choix consternant de lui attribuer toutes les voix des nombreux personnages (au moins 8 quand même) est même fatal au disque : impossible de différencier les personnages. Cela aurait pu être possible, je ne dis pas ; mais il aurait fallu alors que LaBrie travaille davantage dessus. Roger Waters avait réussi sur "The Trial" ("The Wall"), mais il ne s'est pas risqué à le faire sur un album entier, et il a eu bien raison. Ici, cela aurait été si problématique que les membres se partagent les voix (on peut pas dire qu'on écoute les groupes de métal pour leurs envolées dans les aigus en général) ? Grave erreur, qui rend l'histoire fatigante à suivre. La guitare de Pettrucci, habituellement brutale, se la joue Barde à l'eau de rose et ça ne lui va pas ; Le claviériste Jordan Rudess n'a peur de rien et se permet des incartades commerciales dignes du "Starlight" de Muse. Pour moi, il n'y a que le batteur Mike Mangini qui s'est rappelé qu'il n'était pas là pour faire de la broderie. Le point fort est surtout l'apport symphonique de David Campbell, au final : ses arrangements apportent une autre dimension à des compositions rock vraiment aseptisées. Les partitions du groupe possèdent des motifs musicaux (bonne idée, mais il aurait donc fallu que les thèmes en question ne suintent pas la guimauve à ce point), et si tous les morceaux sont bons, ils ont néanmoins l'énorme problème de n'être que de passage. La faute à des attraits marquants, et surtout reconnaissables des Papes d'un sous-genre entier. Pourtant, je trouve la production remarquable. Bruitages, ambiances, gestion des différentes sources d'instruments, c'est un véritable exemple pour tout ingénieur du son. Les dispositions des morceaux pareils, les graphismes excellents. Le problème est l'essentiel : la musique. Ici, hormis "A New Beginning", qui est de loin le meilleur morceau de l'album (Pettrucci s'y réveille pour notre plus grand plaisir !), rien ne nous rappelle qui sont les Dream Theather. C'est théâtral, mais dans le mauvais sens du terme. Les 2 h 10 que représente "The Astonishing" en deviennent longues, véritablement pas à la hauteur des attentes à la fois du groupe et du public, parce qu'il est malheureusement évident que ce projet comptait réellement beaucoup pour les musiciens.
Alors, pourquoi 6 ? Parce que, justement, le projet n'était pas un égo-trip (quoique pour LaBrie je n'en suis pas sûr et certain), Dream Theather avait sincèrement envie d'offrir au métal progressif son "The Wall" futuriste. Ils ont dû se perdre en route, malheureusement, durant sa conception. Des interrogations sur les coulisses s'imposent d'elles-même. Ce remarquable pétard mouillé qu'est "The Astonishing", qui aurait pu être l'album de la décennie, devient pour moi un gâchis fascinant, et surtout mon plaisir coupable musical préféré. J'ai conscience de ses défauts, ils me font sourire à chaque écoute, et je le réécoute justement pour ses défauts. Cette ambiance de héroic fantasy en carton pâte me donne finalement du plaisir par la sympathie que me provoque cette ambiance inadaptée au groupe. La fusion d'un groupe de métal avec des synthés évoquant les années 80, cette inspiration de comédie musicale pour une dystopie qui ne tient pas debout, et surtout cette putain d'histoire à la "Petit Poney", finissent par me fasciner. La musique n'est pas mauvaise, en somme : elle est par contre décalée, et si on vendait cet album comme une comédie parodique, il en deviendrait génial, couillu et extraordinairement original. C'est donc comme un nanar cinématographique, tellement raté qu'il en devient touchant et attirant. Parce que, mine de rien, "The Astonishing" démontre bien combien la frontière entre les intentions et le traitement peut être immense, tout comme il est un excellent exemple de comment un groupe de plusieurs humains peuvent s’embarquer dans une idéologie artistique qu'ils pensent infaillible, sans s'apercevoir eux-même que leur création peut les dépasser, et partir en vrille sans qu'ils s'en rendent compte. Il en dit énormément sur les groupes, et leurs désirs d’œuvres au pinacle, comprenant des risques mégalomaniaques habituellement invisibles mais qui sont ici en vitrine. Ils auraient aimé que ce double album soit leur apogée : il sera le début de leur chute, les albums suivants ayant peu capté l'attention. Voilà pourquoi je trouve que c'est un cas de figure assez fascinant. D'autant plus qu'encore une fois, en eux-mêmes, les morceaux sont bons.
Et puis, si je ne suis pas du tout chaud pour le projet de livre et de film (à moins pour un plaisir encore plus nanardesque pour ce dernier- je suis chaud pour Tom Holland en protagoniste !), je pense sincèrement qu'un jeu de société adapté de cette histoire passerait, ne me demandez pas pourquoi. Nous a-t-il encore livré ses secrets ? Je l'ignore. Ils doivent être aussi intéressants qu'impensables.

Billy98

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