"I ask you, Mr. Frank Zappa, what kind of man can name a child Moon Unit ?"
1966.
Un petit groupe mené par un moustachu vient foutre le bordel aux Etats-Unis et sort "Freak Out", qui revisite le rock de façon fantasque et humoristique.
1991.
35 ans et un nombre incalculable de disques, de tournées et d'aventures farfelues plus tard, Frank Zappa nous offre un double album live en guise de tournée d'adieu.
Frank Zappa est ce qu'on pourrait appeler un "monstre sacré" du rock. Musicien virtuose, touche-à-tout extravagant, c'est un pionnier du jazz-rock, du collage sonore, c'est quelqu'un qui a sorti des albums de classique (en collaboration avec Boulez, rien que ça). Il a voué sa vie à la musique, tout simplement, cherchant sans cesse de nouveaux champs à explorer. Une telle carrière est impossible à résumer, et bien évidemment, "The Best Band..." n'y parvient pas. Il s'agit plutôt d'un aperçu. D'un coup d’œil dans le rétroviseur. Mais quel aperçu !
Le disque se concentre principalement sur la période 60/70 du moustachu (la plus appréciée, globalement). Bien évidemment, ce gros hyperactif de Zappa ne peut pas rester en place, et pour l'occasion il a remanié plus ou moins totalement les morceaux, ce qui permet d'avoir quelques surprises même en les connaissant par cœur. Il se fait accompagner d'une section cuivre qui vient compléter le trio rock classique (guitare/basse/batterie), et c'est à grand coup de "poiiin poin poiiiiins" que ce concert va se dérouler. Zappa étant un gros déconneur, il va rajouter ça et là des tas de bruitages saugrenus et insolites, et nous voilà embarqués dans une ambiance festive, grandiloquente et enivrante, bref, dans la bonne humeur la plus totale.
"The Best Band...", très orienté jazz-rock, pioche principalement dans les disques les plus reconnus de Zappa (Waka/Jawaka, The Grand Wazoo et tout le toutim), ce qui veut dire qu'outre le fait que ce live soit absolument génial c'est également une très bonne porte entrée pour découvrir l’œuvre - pour le moins conséquente - du moustachu. Mais Frank pousse le concept encore plus loin : il ne s'agit pas uniquement d'un rappel de sa propre carrière, il s'agit d'un rappel de la musique populaire dans son ensemble. Ainsi des morceaux aussi mythiques que "Ring of Fire", "Purple Haze" ou encore "Stairway to Heaven" s'invitent-ils à la fête. Bien évidemment Zappa ne les laisse pas intact (ça nuirait à sa réputation, enfin !) et en profite pour les réarranger selon la fantaisie du moment. Hop, un morceau de country devient une hymne reggae ! Zou, un Boléro version jazz-rock, un !
Vous me direz, c'est n'importe quoi, et vous avez raison ! Mais Zappa n'est pas reconnu uniquement pour sa virtuosité à la guitare, c'est aussi, et avant tout, un arrangeur de génie, très influencé par des compositeurs de la trempe de Stravinsky (on a connu pire référence). Et le moins que l'on puisse dire, c'est que les morceaux sont complètement transfigurés (je dirais bien transcendés, mais je vais me faire taper sur les doigts par les fans de Led Zep'), avec des arrangements de cuivres absolument splendides, des soli démentiels, sans compter les petits bruits hilarants - c'est là une autre qualité essentielle de Zappa : il met tellement d'humour dans ses travaux qu'on ne peut jamais le taxer de prétention, c'est toujours humble et rigolard alors que sur le plan technique, rares sont ceux à approcher son niveau. Autrement dit : c'est de la bombe.
Atteint du cancer de la prostate au moment des faits, Zappa décède en 1993 - 5 ans après la tournée, 2 ans après la sortie du disque. Ainsi se conclut l'immense carrière d'un géant du rock, qui a consacré sa vie entière à la musique. Et à la vue des innombrables témoignages qu'il nous a laissé, j'ai envie de saluer : chapeau, l'artiste !
Ce à quoi Zappa me répondrai : "We're only in it for money".
Quel sacré déconneur.