Les Doors sont infréquentables: ils s'habillent en noir alors que tout le monde sort les habits à fleurs, n'ont pas de bassiste, invitent les gens à se défoncer et à forniquer et leurs chansons, contiennent des références à des livres que la plupart des gens n'ont jamais lu et ne sont absolument pas de la musique pop guimauve pour midinette.
La plus grande réussite de leur premier album est là: avoir permis à un groupe peu conventionnel et sortant des sentiers battus de devenir un énorme succès commercial et critique. Et cela n'a été possible que grâce à des compromis, à l'image de leur psychédélique et longuet, Light My Fire, émasculé en single pour devenir le n°1 des charts. Mais les titres formatés radio (Soul Kitchen, Take As It Comes, I Looked At You...) et l'habillage pop de l'ensemble ne servent qu'à appâter le chaland vers ce que les Doors ont vraiment à offrir: une musique étrange, envoûtante, sensuelle, parfois sombre et morbide qui emprunte beaucoup au blues, a des accents jazzy (l'intro très "Coltrane" de Light My Fire), un soupçon de pop, des rythmiques de bossanova (Break On Through) et s'inspire même des musiques de cabaret (Alabama Song). Les Doors réussissent à être grâce à cet album éponyme qui donne un large aperçu de ce qu'ils peuvent faire, étranges, psychédéliques et populaires.
Parce qu'il est chargé en hits, parce qu'il réussit toujours à maintenir l'équilibre entre la bizarrerie du groupe et son potentiel commercial, cet album est sûrement la réalisation la plus abordable du groupe. Et il faut le dire, la plus réussie.