2002 était une année chargée pour Eminem. Outre ce nouvel album, l’artiste a mis sur pied le film autobiographique 8 Mile, ainsi que la Bande Originale l’accompagnant, incluant entre autres l’immense Lose Yourself, auréolé d’un Grammy. En y ajoutant le succès de ses deux premiers albums en major et la production du premier album de son poulain (avec Dr. Dre) 50 Cent, Marshall Mathers a-t’il franchement eu le temps, l’envie, et surtout l’inspiration pour sortir un album digne d’être le successeur de The Marshall Mathers LP ?
Parce que Jimmy Iovine, le directeur de sa maison de disque Interscope, Dr Dre son producteur, et lui-même savent très bien que l’artiste est au sommet de la vague et qu’il ne faudrait surtout pas dénaturer l’essence même de ce qui avait fait le succès de Slim Shady sur ses deux premiers albums. Eminem va donc réitérer sa recette « 1er single drôle et 2ème single plus sérieux ».
Attention, loin de moi l’idée d’affirmer que « Without Me » et « Cleanin’ Out My Closet » soient de mauvais titres ; le premier, accompagné de son clip est franchement amusant, et le second très bien écrit, il s’agit simplement d’un sentiment de déjà-vu, d’une recette qui certes fonctionne encore, mais qu’il utilise pour la 3ème fois.
The Eminem Show marque un début de fracture. Une fracture musicale d’abord, puisque là où Dr Dre ainsi que les Bass Brothers produisaient l’écrasante majorité des titres d’Eminem sur les 2 précédents albums, désormais, Marshall Mathers est à la production de 12 titres (sur 15 (!!!) au total en enlevant les intro, outro et interludes), ne laissant que les miettes à Dr Dre (3 titres produits, et pas franchement mémorables pour la plupart) et à l’un des frères Bass, Jeff (6 co-productions seulement). Et si ces productions étaient du niveau de The Way I Am ce serait acceptable, malheureusement elles sont pour la plupart d’une banalité assez inquiétante, comme les 3 titres à la suite Soldier, Say Goodbye Hollywood et Drips. En dehors de ça, quelques bonnes idées comme Hailie’s Song, Sing For The Moment ou encore ’Till I Collapse.
La deuxième fracture est l’écriture. Eminem ne s’est pas (encore) assagit, mais les attaques sont amoindries et les coups de folies quasiment disparus. On aurait bien Drips dans le genre folie pure dans la lignée des My Fault ou Drug Ballad, mais l’idée de se faire transmettre le SIDA par relation sexuelle relève moins de la folie que du mauvais goût (d’ailleurs ce titre sera carrément supprimé de l’album version Clean). Les thèmes ont changé, à commencer par l’un des meilleurs titres de l’album, White America. Alors que les problèmes de notoriété pesante apparus sur The Marshall Mathers LP sont encore présents, les différences de couleur n’avaient encore jamais été abordées (bien que son statut de rappeur blanc a été maintes et maintes fois répété), avec cette phrase désormais mythique « Let's do the math: if I was black, I woulda sold half » (faisons le calcul, si j’étais noir, je n’aurai même pas vendu la moitié). Il parait même faire machine arrière concernant les attaques à l’endroit de sa génitrice, comme en témoigne le refrain de « Cleanin’ Out My Closet » « I'm sorry mama, I never meant to hurt you, I never meant to make you cry... » (je suis désolé maman, je n’ai jamais voulu te blesser, je n’ai jamais voulu te faire pleurer…).
Bien que l’écriture soit toujours de bonne qualité même si Eminem semble s’être un peu calmé, que le flow soit encore énergique, The Eminem Show souffre d’une production de qualité très moyenne, d’idées un peu poussives à plusieurs moment (Superman, My Dad’s Gone Crazy ou Drips frisent le ridicule), et aurait sûrement gagné à être un plus court (quasiment 17 minutes pour les seuls trois titres Sing For The Moment, Superman et Hailie’s Song à la suite) et à mettre de côté certains titres dispensables comme Square Dance, When The Music Stops ou Say What You Say. Malgré tout, quelques titres très enthousiasmants comme White America ’Till I Collapse, Sing For The Moment ou Business laissent penser que Slim Shady n’a peut-être rien perdu de son talent, mais que les multiples projets édités au même moment n'ont pas permis à l'artiste de s’investir autant qu’il aurait fallu sur ce 3ème album major.