The Marshall Recovery 1.5
Comment donner une suite à un classique ? C'est une question qu'Eminem a souvent dû se poser lorsqu'il a entrepris l'impossible défi que constitue ce MMLP2. En effet, The Marshall Mathers LP premier du nom est un album inouï à de nombreux égards, que ce soit au niveau du flow, des paroles ou des instrumentaux, et à l'annonce de ce projet, les fans de la première époque ont pour la plupart ressenti deux émotions bien distinctes : d'un côté, la joie et l'espoir de voir Eminem renouer ENFIN avec son alter ego Slim Shady, et de l'autre, la peur d'être terriblement déçu. Voici le verdict.
Autant le dire tout de suite, MMLP2 n'est pas du niveau de MMLP1. Cet album inégal pêche clairement au niveau des instrumentaux, et l'absence des producteurs de la grande époque se fait cruellement ressentir. Mel-Man, Mike Elizondo et les Bass Brothers ne sont plus de la partie, et si vous regardez bien les crédits des premiers albums de Slim Shady, vous vous rendrez compte qu'ils jouaient un rôle considérable dans la définition du "son Eminem". L'absence de Dr. Dre n'est quant à elle pas si gênante que ça : le producteur de la NWA a perdu de sa splendeur depuis de nombreuses années, et ses beats sur Encore, Relapse, Refill et Recovery n'avaient pour la plupart rien de mémorable. A vrai dire, parmi tous les producteurs présents sur ce nouveau disque, c'est Eminem qui s'en sort le mieux : "So Much Better" est une tuerie dans la continuité de "Kill You", et elle aurait selon moi mérité d'ouvrir l'album en lieu et place de "Bad Guy". "Brainless" rappelle elle aussi le début de carrière d'Eminem avec sa ligne de piano lancinante, et l'excellente "Baby" aurait pu figurer sur la bande originale de 8 Mile.
Rick Rubin ne déçoit pas trop non plus, mais ses beats ne s'accordent pas vraiment avec le style si particulier d'Eminem. "So Far" semble en effet être destinée à Kid Rock période "Devil without a Cause", tandis que "Berzerk" rappelle volontairement l'époque glorieuse des Beastie Boys et de LL Cool J. Mais le vrai boulet de ce disque est assurément Alex da Kid : toutes ses prods' sont absolument catastrophiques et n'ont rien à faire sur un album estampillé "Marshall Mathers LP". Je n'arrive ainsi pas à comprendre comment Eminem a pu tolérer la présence d'un morceau comme "Asshole" sur un de ses albums officiels, et la présence de Skylar Grey n'arrange pas les choses… Plus globalement, l'album manque d'une direction globale bien affirmée, un peu comme si Eminem avait été incapable de choisir entre la folie des années Slim Shady, et le côté plus sérieux de la période Recovery. Très franchement, si l'on fait abstraction des paroles, l'album pourrait presque s'appeler Recovery 2, et personne n'y verrait rien à redire.
Mais voilà, il y a les paroles, et c'est là le gros point positif de ce MMLP2. Si les instrumentaux vont dérouter plus d'un fan, vous ne serez pour la plupart pas déçus par ce que raconte notre blond peroxydé préféré. "So Much Better", "Evil Twin" et "Brainless" nous permettent de retrouver le fameux storytelling de la période Slim Shady, et le point d'orgue de l'album est évidemment atteint avec "Bad Guy". Sans trop vouloir vous gâcher l'effet de surprise, sachez simplement que cette chanson fait suite à l'un des classiques du premier Marshall Mathers LP, et que le choix du narrateur est particulièrement judicieux.
Au niveau du flow et de l'élocution, on constate un mieux par rapport aux précédents albums, sans toutefois atteindre la perfection des années 1999-2002. Depuis cette époque, Eminem est devenu de plus en plus technique, et ses textes sont généralement salués pour la qualité des rimes, des métaphores et des jeux de mots. Cela fait-il de lui un meilleur rappeur ? Pas sûr… Le MC de Detroit semble avoir oublié la simplicité de ses débuts, et certains morceaux ressemblent plus à une démonstration technique qu'à autre chose (ex : "Rap God", qui est à peine digne de figurer sur une mixtape). Si les paroles méritent d'être lues à tête reposée pour saisir toutes les nuances de son propos (ex : le quatrième couplet de "Bad Guy"), elles ne sont en général pas aussi mémorables qu'à l'époque de MMLP1.
Pour résumer les choses, disons que MMLP2 est une semi-réussite. Ce disque ambitieux au niveau des paroles aurait pu être grandiose si Eminem avait fait appel aux producteurs de ses débuts. Ça et là, on retrouve le Slim Shady déjanté qui nous manquait tant, et les références au premier opus ne manquent pas sur l'ensemble des 16 pistes (le seul interlude du disque est par exemple jouissif pour les fans de "Criminal"). Dans son ensemble, l'album souffre d'un manque de consistance au niveau des instrumentaux, et le rappeur quadragénaire a encore un peu trop tendance à hurler ses paroles, plutôt que d'utiliser la voix nasale qui nous manque tant depuis la sortie du premier MMLP. En choisissant d'intituler ce disque "The Marshall Mathers LP 2", Eminem a pris un énorme risque qui ne s'avère malheureusement pas payant : il ne suffit pas de se teindre les cheveux en blond, de prendre une photo de son ancienne maison et faire revenir Slim Shady sur quelques chansons pour que le disque en question soit du même niveau que le classique originel. Eminem montre de belles choses ça et là, et d'une manière générale, on ne l'avait pas vu aussi inspiré et motivé depuis 2002. Mais le bilan global reste mitigé, et ce pour diverses raisons : l'absence d'une direction artistique claire et assumée, un trop grand nombre de morceaux dispensables, et des invités à nouveau trop éloignés de la sphère hip-hop.