Spleen & Shout
Depuis ses premiers battements, le rock'n'roll parle la ville. Concocté à partir d'une fusion de différents courants musicaux, du rythm and blues en passant par la country, sa spécificité, à...
Par
le 7 févr. 2017
29 j'aime
5
Depuis ses premiers battements, le rock'n'roll parle la ville.
Concocté à partir d'une fusion de différents courants musicaux, du rythm and blues en passant par la country, sa spécificité, à l'instar d'autres bien sûr, a toujours été de traduire dans un élan nerveux et électrique, les sentiments et les instincts palpables des sociétés.
À travers les époques, un même refrain a toujours transcendé sa pulsation: celui de détricoter l'espace urbain. Raconter ce qu'on y trouve entre ses artères, dans son cœur, à sa lisière, etc... Le rock enregistre le pouls de la rue, l'amplifie et atomise dans l'air par ses accords déstructurés et ses chants racoleurs, les chaudes humeurs, afin qu'elles rallient toutes les avenues, tous les chemins, toutes les oreilles chastes. Il Triture de l'intérieur un agencement trop carré, pour en sortir un souffle nouveau, brut comme un premier jet, mais auréolé d'une intention honnête, insubordonnée et fédératrice: le son rock'n'roll.
Rock Around The Clock de Bill Haley & the Comets, sorti en 1955, qu'on considère volontiers comme le premier tube de l'histoire du rock, ne prétend rien d'autre si ce n'est envoyer valdinguer les conventions et
danser toute la nuit...
Mais près de 55 ans plus tard, les choses ont changé. Le contexte initial n'est plus le même. Les barrières endiguant la scène du rock'n'roll sont tombées depuis des lustres. Pire, le marché, toujours en quête de guitares fraîches, s'est administré la scansion et a formaté peu à peu son énergie énonciatrice originelle en un flot intarissable de riffs communs.
C'était mieux avant donc ? Le rock au 21ème siècle n'embrase plus les foules comme dans les 60's ou les 70's, c'est certain. D'autres genres musicaux ont pris le devant de la scène. Néanmoins, il serait dommage de louper les groupes de rock pas-si-rares-si-l'on-se-donne-la-peine-de-les-écouter qui aujourd'hui encore, battent le pavé honorablement.
Arcade Fire, depuis ses débuts, met un point d'honneur à revigorer le rock, à le bousculer afin qu'il ne se léthargise pas. Le groupe de Montréal perpétue l'écho mythique du larsen , albums après albums, et avec ce troisième scud: The Suburbs (oui, parce que je vais quand même finir par en parler) passe définitivement du statut de rookie plein de potentiel à nouveau pilier du Hall of Fame rocknrollesque.
Les premiers mots du disque sont ceux-ci:
In the Suburbs, i...
En à peine 4 mots, la voie est tracée. L'essence même de l'album est déjà contenue dans cette phrase. Parce que l'ensemble des titres suivants découle de cette, anodine et simple phrase...
The Suburbs est un concept album. Et le concept dans le cas présent, va être de raconter l'asthénie morale inhérente aux banlieues. Le sentiment de vacuité qui voyage, mais en vase clos, qui tourne en rond pour ainsi dire, en boucle dans ces quartiers. Par le prisme de la voiture, symbole d'affranchissement et de liberté, on va pérégriner d'un bout à l'autre du circuit.
The Suburbs est une ballade désenchantée, nourrie par les regrets et les ressentiments. Au fil de la course, on croise un tas d'écueils. À chaque tournant, une désillusion s'érige à même les fondations d'un immeuble. Un jardin laissé en ruine par un millionnaire dans une prison privée, chante le groupe. Le délabrement est partout, l'espoir; juste introduit dans les chansons. Comme un ultime soubresaut de l'âme, le chanter pour qu'au moins, une trace apparaisse.
Ces périphéries multipliées en dépit du bon sens. Déconnectées, mal habillées, des pavillons qu'on entasse les uns sur les autres. Un réseau de blocs et de signalisations, infernal labyrinthe, où plus aucune transcendance n'arrive à percer le trafic. Rien de vertical si ce n'est ces tours sombres, un horizon plat, indéfiniment plat, le terrain d'un jeu du néant, tout juste propice aux roues d'une bagnole.
Les personnages de l'album gravitent dans cet univers d'en bas. Il se traînent, oisifs et frustrés, sur les trottoirs et rêvent à d'autres paysages moins gris.
The Suburbs parle de cette jeunesse, de notre jeunesse, renfrognée mais ivre de sensibilité, déconnectée de la terre car née sur le béton de l'aménagement, désireuse d'une nouvelle récréation, d'une porte de sortie, pas d'un tour de manège dans une zone commerciale.
Une jeunesse souffrante de ne pouvoir substituer son morne cycle pour une autre vie.
16 titres, comme des petites histoires, pour siffler l'inanité.
Un album entier pour capter le vide existentiel qui ronge nos sociétés, et ce depuis des décennies.
The Suburbs s'inscrit dans la filiation des grands albums de rock. S'il n'est pas aussi furieux que pouvait l'être un London Calling ou un Nevermind. Il est tout aussi générationnel. Parce que raccord avec son époque, captant les appétences inavouées ou étouffées.
Notre monde, comme le rock du 21ème siècle, joue davantage la musique mélancolique et la nostalgie tenace. The Suburbs, en cela, transparaît de modernité.
J'aime à considérer cet album comme la suite logique d'un autre. En 1997, Ok Computer de Radiohead avertissait l'homme du futur et condamnait, déjà, l'ère numérique balbutiante. The Suburbs, lui, glisse sur le bas-coté, constate les dégâts, et conjure le désespoir de l'homme moderne, prisonnier des cités abandonnées.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top 10 Albums, Les meilleurs albums de rock, Les meilleurs albums de pop, Les meilleurs concept albums et Les meilleurs albums des années 2010
Créée
le 7 févr. 2017
Critique lue 1.1K fois
29 j'aime
5 commentaires
D'autres avis sur The Suburbs
Depuis ses premiers battements, le rock'n'roll parle la ville. Concocté à partir d'une fusion de différents courants musicaux, du rythm and blues en passant par la country, sa spécificité, à...
Par
le 7 févr. 2017
29 j'aime
5
Concept album pas toujours homogène tout en faisant bloc, « The Suburbs » parle de tous ces gamins hirsutes et mal bâtis, piégés dans l'oisiveté poisseuse de ces après-midi d'étés sans fin. Occupés à...
Par
le 7 juin 2012
9 j'aime
Il y a des groupes que l'on vénère pour ce qu'ils représentent, la musique qu'ils jouent, et les émotions qu'ils nous font ressentir. Le genre de groupes qui marquent, dont on devient fanatique,...
Par
le 22 mai 2012
8 j'aime
Du même critique
Ne rien attendre d'un film, le laisser pleinement vous surprendre en atténuant les espoirs est bien souvent la meilleure manière de l'apprécier à sa juste valeur. Je suis parti dans ce neuvième volet...
Par
le 19 déc. 2019
95 j'aime
12
Les grands films éclatent les bords de l'écran. ils sont bien trop volumineux pour être contenu dans leurs cadres étriqués, bien trop grandioses pour se contenter de cette pauvre condition. Alors ils...
Par
le 19 nov. 2014
55 j'aime
16
Tout d'abord, There Will Be Blood c'est un prologue. Une immersion au fond d'une mine noire et muette où de roches insondables et compactes provoquent la volonté humaine. La pioche forcenée du...
Par
le 19 juin 2015
51 j'aime
6