Bob Dylan, né Robert A. Zimmerman, est un fan du vieux Woody Guthrie, country-folk-man qui servira de référence au bio-pic fantasque "I'm Not There". Pour resituer un peu, dans ce film on y voit un mélange des personnalités évoquant vaguement ou clairement Dylan, dont un appelé Woody, avec l'inscription "This Machine Kills Fascists" peinte sur la house de guitare. Bref. Ce brave Woody avait la fibre politique dans ses lyrics, et Bob sent au fond de lui que lui aussi, il peut. Mais en attendant, par les biais tordus et divers de l'histoire, le futur génie enregistre un premier opus en demi-teinte. Beaucoup encore aujourd'hui n'y voient d'ailleurs pas l'intérêt, et aurait préféré que la trilogie folk compte à son actif un rejeton de moins. Personnellement, je ne trouve pas ce disque mauvais, mais ce sont presque toutes des reprises de folk et blues, enlevant toute initiative à la plume de Dylan. Pour cela, il faudra attendre The Freewheelin' , qui arrive juste un an après en 1963. Bobby atteint enfin un semblant d'universalité. Pas encore, bien sur, car pour l'instant ce n'est qu'un succès naissant, bien que grandissant à vitesse exponentielle... Mais aujourd'hui encore, quel être cultivé et intéressé par la musique -ou même pas tant que ça, n'a jamais entendu "Blowin' In The Wind" siffler dans ses oreilles ?
"Hit" universelle s'il en est, elle marque le pas dans l'écriture politique de Robert, à la fois douce et corrosive. Des protest songs bien senties, qui le propulse dans les charts. Oui, "charts", "hits", ces mots grandiloquents sont de mise, car ils auront, plusieurs années après, le don d'énerver notre ami qui s'en ira voir ailleurs si le vent souffle.

Cependant, sur ce ô combien fameux album, on y trouve déjà une petite rupture avec l'ancien temps. Quelque chose d'incroyablement plus accessible s'en dégage. Des refrains qui sont presque des slogans, évidemment, mais aussi de douces ballades telles que "Don't Think Twice It's Alright" et autres "Girl From The North Country" plus personnelles. La seconde sera d'ailleurs reprise avec Johnny Cash sur l'album Nashville Skyline. Donc un pas déjà marqué.
Ce qui est marrant de constater chez Dylan, c'est ce côté charnières. Que tout est (au début du moins) cohérent et même à la conclusion inéluctable que l'homme savait ce qu'il faisait. Il y a bien sur les grosses transitions comme de la période folk à électrique, mais nous en avons une ici, sous le nez, bien plus subtile. Freewheelin' fait en effet le grand écart encore l'album éponyme, canasson sympathique et Times, destrier grand et inattendu sur la piste de course.
Pour filer la métaphore, Times They are A-Changin' est donc lancé, le sabot brulant, un an après encore une fois, en 1964.


***

Times They Are A-Changin' est pour moi un bijou. L'album de la logique absolue. Le truc indémontable de A par B. Précis et taillé dans le marbre pour rester, sans fioritures. Pas d'arabesques modernes et d'inutilités dans le décor. Un homme, sa guitare, son harmonica. Point à la ligne.
L'opus ouvre sur la chanson éponyme qui est la suite logique de "Blowin' In The Wind" , qui ouvrait le précédent. En effet, une nouvelle protest song politiques aux phrases ravageuses fait de nouveau œuvre d'hymne à la jeunesse, qui y revoit là une cerise sur un gâteau déjà bien garni. "Les temps changent" , pour qu'on se mette une seconde dans la tête des jeunes des 60s, reste un message incroyable d'entrain. Presque un chant révolutionnaire en somme.

Si aujourd'hui la démarche et le son Bob Dylan peuvent paraître vains, il faut y réfléchir deux fois. Tout est esprit. Il écrit de sa plus belle plume --machine à écrire-- compose, prend sa guitare, son harmonica et chante. C'est tout. Rien de mégalo ou de narcissique à tout cela comme tout ces anciens rockeurs qui se mettent au folk aujourd'hui, oh non! Juste la simplicité parfaite, l'analogie du reste, le paroxysme de l'épuration, la musique dans son plus simple appareil. Un texte, une voix, un rythme. Nous en sommes tous là. Cependant les chansons du Zimmer ne sont pas des brouillons, elles sont aiguisées à son bon vouloir, dans une précision qui rendrait dingue Léonard De Vinci lui même. Oui, le côté presque mathématique de cette musique expédie les 7 minutes de "With God On Our Side" en une bouchée. Les temps changent, mais semblent surtout passer à une vitesse ahurissante.
Dylan grave des lyrics percutants, et notamment sur le point de la poésie. Ce même point sera encore un peu plus enfoncé, tel un clou de 5 pieds de longs, sur l'album suivant, le très bien nommé Another Side Of Bob Dylan. Mais ne nous avançons pas trop vite en besognes.

Non, ici les protest songs ont encore une part importante, racontées comme de longues diatribes. Bob écrit pour lui, comme pour publier un livre. Ses phrases sont longues, de temps à autres interminables même; mais je vous passe tout le bienfait de la longueur, parfois...

" The Lonesome Death Of Hattie Carroll "

Cette musique à elle seule marque le pas parfaitement lugubre et funeste de l'écriture Dylanesque. Quand les protest songs rencontrent l'ingéniosité de la poésie. L'histoire y dépeint un tableau bien sordide, racontant comment un riche bourgeois tue sa servante, d'un coup de canne. Notez bien l'arme du crime, qui a son importance dans la contribution à l'image populaire. Les mots de Robert s'envolent et tombent lourdement. Comme des tombes que l'on aurait expédiées par catapultes. L'anecdote est racontée avec justesse, et avec cette voix qui suit les douleurs de dame Carroll. "Now Ain't The Time For Your Tears". Oui, pleurez mes agneaux. Pleurez du constat de que nous sommes tous, de ce qu'est l'argent, de ce qu'est un rapport de supériorité. Je ne vous raconte pas tout cela d'un air moralisateur, non. Je vous apporte les faits sur un plateau d'argent; alors pleurez de la véracité et de l'authenticité de cette musique. Aujourd'hui encore, cette musique me fait grincer des dents. Pleurez désormais comme unique symbole d'acclamation pour ce qui est et reste, l'une des meilleures musiques écrite et jouée par Bob Dylan. Presque 6 minutes d'autant de bonheur que de malheur.

Voilà, tout est presque pour un album d'une simplicité aussi déconcertante que sa complexité et que son harmonie. Mélodies enchanteresses, trouvées par on ne sait quel miracle ("When The Ship Comes In") et parfois inchantables autrement que par son compositeur; on nous offre sur un plateau de quoi redécouvrir le monde du folk.
Renforcé dans sa voie poétique, c'est sous le regard colérique et froid que Times They Are A-Changin' se verra couronner d'un certain succès. Certains fans tombèrent en chemin, bien assurément, mais d'autres vinrent alors s'y retrouver. Oui, c'est en presque logique finalement.
Précis et taillé dans le marbre pour rester, disais-je.


***

Outro. Il est toujours difficile de chroniquer un tel chef d'œuvre et de se croire capable d'en délivrer une note. On se sentirait presque prétentieux. Mais quelle joie encore une fois, d'écrire sur cet immense artiste qu'est Bob Dylan ! Les mots viennent aussi simplement que semblent se dérouler ses musiques. Difficile d'imaginer alors à l'époque, ce qui devait grouiller dans sa tête, au moment de l’électrification en masse de ses musiques. Le public, déjà un peu chamboulé par le changement mineur des lyrics est en 1964 loin de se douter de la claque qu'il va de nouveau prendre quelques années plus tard. Mais ça les enfants, c'est une autres histoire...
Shyle
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le 26 déc. 2014

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Chlorine Z

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