Il fallait s'y attendre, ils étaient quelques centaines de milliers à attendre le retour de leur amour perdu. Les critiques ne pouvaient donc être que dithyrambiques, tant on préfère garder en mémoire l'excitation pré-coïtum que l'état post copulatoire. Mais dix ans après la sortie du "chef d'oeuvre", que reste-t-il de Third, acclamé avant, pendant et (un peu) après sa sortie ? S'agit-il vraiment d'un ouragan, ou juste d'une tempête dans un verre d'eau ? Sans doute ni l'un ni l'autre.
Vu de l'extérieur, on pouvait s'y attendre en fait. D'ailleurs, que peut on bien se raconter entre amis quand on ne s'est pas vus depuis dix ans, quand on ne s'est donné aucune nouvelle ? Certainement, on doit parler de banalités ; mais surtout évoquer les bons souvenirs pour se raccrocher aux branches. C'est exactement ce qu'à fait (en partie) Portishead avec ce Third, dont le seul titre annonçait déjà une continuité avec ses prédécesseurs.
Du point de vue purement artistique, il est d'ailleurs surprenant qu'un groupe majeur comme Portishead n'ait a priori pas changé d'un iota (je dis bien a priori, car c'est ce qu'on ressent à l'écoute des trois premiers titres de l'album notamment, plutôt convenus). D'abord parce que le trip hop "classique" (comprenez celui instauré par Portishead) sent aujourd'hui la poussière, ensuite parce qu'en dix ans, on peut difficilement faire fi des évolutions dans le domaine musical, et plus particulièrement de tout ce qui touche de près à l'électronique... Comme le trip hop, justement.
Ce qui frappe au départ, en écoutant "Silence", "Hunter" ou "Nylon Smile", c'est qu'on a l'impression que le temps s'est arrêté en 1994. Bien sûr, tout cela est plutôt joli, mais tout de même légèrement frustrant. Car la fraîcheur (si l'on peut dire) de Dummy n'est plus là, l'état de grâce de Portishead non plus. Alors on en vient à se demander (un peu agacé, ou déçu on ne sait pas) s'il ne s'agit pas carrément d'un foutage de gueule dans les règles, jouant sur la seule nostalgie des fans transis.
Mais non. C'est au détour de quelques arpèges convenus et mal joués ("The Rip"), qu'un petit miracle se produit : Portishead a bien changé, finalement. Ou plutôt évolué. Ce synthé martial, très eighties, qui vient perturber le pseudo confort dans lequel on s'était d'ores et déjà installé, remet les pendules à l'heure et nous fait espérer une suite d'album plus ambitieuse et percutante. Et c'est exactement ce qui se passe, exception faite d'un "Plastic" prévisible.
Et voici les deux armes du combo de Bristol : de l'industriel eighties ("The Rip" donc, et bien sûr "Machine Gun" au final magique) et du rock'n roll ("We Carry On", révolté, en est le meilleur exemple). Comme quoi c'est dans les vieux pots qu'on fait (parfois) les meilleures confitures.
C'est donc en regardant vers le passé que Portishead parvient à se forger une nouvelle identité. Ce n'est pas pour rien que le trip hop n'a guère survécu !