Si on m'avait dit que je mettrais 10 à cet album au moment des premières écoutes comme pendant les 2 mois qui ont suivi, j'y aurais pas cru une seconde. Rarement un album a pris autant son temps pour me retourner. Ses limites objectives (le manque de mélodie dans le chant d'Alex Turner en particulier, qui semble s'être bien plus concentré sur le sens que sur la sonorité des mots, alors qu'il sait si bien allier les deux) sont largement dépassées par l'intelligence des compositions.
Turner a jamais fait particulièrement compliqué dans la structure de ses morceaux mais il a toujours compensé par un sens de la mélodie, de la note juste et une vraie science des arrangements. Cette fois, ce sens mélodique est certes pas nécessairement dicté par le chant, mais il s'est risqué à une certaine bizarrerie. Golden Trunks, par exemple, est assez étrange, avec ce riff de guitare très fuzz sur ce qui ressemble finalement plutôt à une balade un peu dissonante, avec ses chœurs très présents. Comme toujours avec Arctic Monkeys, qu'ils s'approchent du stoner, du RnB ou du rock psychédélique, on touche un style sans jamais exactement tomber dedans.
Comme Humbug, ça restera sûrement un album moins largement apprécié, incompris par les uns et adoré par d'autres. Après la période rock star multimillionnaire assez pathétique qui a été celle de Turner encore récemment, je m'attendais certainement pas à cette audace. Il y aurait d'ailleurs des choses à dire sur son écrasante empreinte sur le groupe, qui a effacé depuis 2 albums le talent fou de Matt Helders et qui délaisse pas mal la guitare de Jamie Cook. Dans un premier temps, j'ai même cru que ses parties de guitare étaient surtout là pour le satisfaire plus que pour satisfaire un besoin musical pur. J'en suis beaucoup moins sûr désormais, sinon ils auraient pas tenté cet étonnant son fuzz.
Il reste qu'on peut regretter pas mal de choses, dont une certaine monotonie, pas seulement à cause de ce manque ponctuel de mélodie au chant dont je parlais, mais aussi du fait de l'absence de 2-3 morceaux plus vifs, moins introspectifs. Mais après tout ça participe à la grande cohérence de cet album, pourtant fruit d'un mélange inquiétant au premier abord, comme un plat sucré-salé. Largement composé au piano mais accompagné d'une guitare lead peut-être plus crade que jamais. Cette homogénéité était moins évidente dans AM, et j'ai l'impression que le temps a tendance à récompenser davantage ce genre d'albums soucieux d'une unicité que les compilations de bons ou très bons morceaux.
Intrinsèquement, mon ressenti est peut-être plus proche du 9, mais la révélation a été si progressive et subtile que j'y vois forcément un coup de force et la marque de ce qu'on peut désormais appeler, à mon avis, le génie d'Alex Turner