J'ai toujours admiré Disiz pour ce qu'il amenait dans le Rap. Une simplicité, une véritable ironie, des textes un peu naïfs mais avec une véritable profondeur sur le monde qui l'entourait, et beaucoup d'humour, alors que d'autres se contentaient (et se contentent toujours) de narrer leurs exploits de gangsters fictifs sur des instrus industrielles, kalachnikov à la main sur des voitures de sport. Disiz-celui-qui-ne-s'appelle-plus-la-Peste, faisait preuve d'une véritable audace, jusque dans ses projets annexes comme Rouge à Lèvre et Klub Sandwich.
Et puis, j'ai commencé à le trouver nettement moins sympathique lorsqu'en 2012, à l'occasion de la sortie de son EP Lucide, il a commencé à essayer de me vendre des Teddies à 130€ et des casquettes à 35€. Curieuse façon de changer le monde, lui qui dans Disiz the End avait une critique aussi lucide (c'est le cas de le dire) du capitalisme (Cf. Odyssée, Quand le peuple va se lever).
Et puis, j'ai commencé à le trouver un peu relou, le Disiz, à se jeter sur la moindre line pour placer un nom de peintre, de philisophe ou d'auteur respecté afin de prouver à je-ne-sais-qui que lui aussi, bien qu'il soit un banlieusard, connaissait les belles lettres et la culture académique.
Et puis j'ai écouté Transe-Lucide. Et j'ai compris.
Disiz, c'est l'histoire assez tragique d'un gars qui n'assume pas son métissage. Son métissage ethnique et culturel tout d'abord, qui le pousse à se demander sans cesse à se questionner comment faire coexister sa part de France, d'enfant de la République, avec sa part d'Afrique, victime de cette même république. On a toujours l'impression que Disiz se sent obligé de faire un choix entre Noir ou Blanc comme si l'un valait mieux que l'autre, mais que faire son choix le pousserait nécessairement à trahir l'un ou l'autre, alors que la réponse se trouve peut être dans la richesse qu'apporte le fait d'être l'un ET l'autre.
Son métissage social ensuite, reste visiblement son plus gros problème. Tout au long de l'album Disiz reste coincé entre son identité de petit gars timide et mal dans sa peau (à travers des morceaux comme Miskine, ou Luv) son autre identité, celle du gars qui a quand même grandi en banlieue et qui se doit de parler de la cité (Rap Genius, Banlieusard Syndrome en exemple), et celle de père de famille amoureux à la vie relativement tranquille. Difficile d'avoir l'air "street-crédible" quand on est bien propre sur soi dans ses clips en Suisse, et qu'on invite des McMiller et des Orelsan sur ses albums.
Tout ceci se ressent dans transe-lucide, qui musicalement parlant est lui aussi le résultat d'un métissage mal assumé. Les instrus passent sans transition du Trap au R'n'B voire à la variété française, le tout saupoudré d'un peu d'électro-rock. Mention spéciale à l'immonde sample de Discobitch sur McKissinger. Les trois interludes Terre/Eau/Air n'ont en ce qui les concerne aucun intérêt sinon celui de rallonger un album de 17 titres qui en aurait bien mérité 4 de moins.
Côté rap à proprement parler, c'est faible. C'est très faible. Alors bien sûr, on est loin des profondeurs abyssales où barbotent lafouine, canardo et autres hallucinations musicales, mais Disiz a déjà fait beaucoup mieux. Globalement, Disiz nous explique à quel point il est compliqué d'être ce qu'il est à savoir un homme, métis, ayant grandi en banlieue, marié avec 4 gamins, et qui est un rappeur de premier plan sur la scène francophone. Le tout émaillé de lines bienpensantes sur la consommation de cannabis, de diverses niaiserie sur le bonheur de la vie de famille et d'autres banalités.
Au niveau du flow, on reconnait bien son style et c'est pas désagréable, mais rien de bien nouveau et les refrains sont pour l'ensemble tous horriblement pop. Dans "Burn Out" je me suis même demandé pourquoi il n'avait pas appelé Justin Bieber pour lui faire le refrain.
Cela dit, tout n'est pas à jeter dans Transe-Lucide. Même si pour moi l'album est raté, parce qu'assez incohérent et mal construit, certaines chansons sont très sympa comme King of Cool et son instru "new-old-school", Spirales, Miskine et son instru qui rappelle "Sabali" (Amadou et Mariam / Damon Albarn). De son côté, Banlieusard Syndrome est un vrai bon titre de rap. Et puis ce serait un peu injuste de reprocher à Disiz de vouloir faire de la musique moins prise de tête, plus "good vibes". Dommage que ce soit au prix d'albums aussi moyen que celui-ci, résultats d'une difficulté certaine du personnage à s'accepter tel qu'il est. Comme dirait Grems : le rap, c'est que du flow et de l'egotrip, et Disiz devrait s'en souvenir pour son prochain album.